Le fermage, ce statut qui protège les paysans des abus des propriétaires terriens

Débats

Limiter les pouvoirs absolus de la propriété privée, c’est possible en France pour les terres agricoles grâce au « fermage », un outil juridique mis en place il y a 80 ans, à la Libération.

par Nolwenn Weiler

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On commémore cette année les 80 ans de la Sécurité sociale, grande avancée dont chacun et chacune bénéficie. On commémore aussi un autre grand progrès, en particulier pour les zones rurales, la création du « fermage », il y a 80 ans également. Celui-ci permet de protéger les agriculteur.ices qui louent une terre pour la cultiver des abus des propriétaires fonciers.

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C’est un résistant au régime de Vichy, né dans une famille d’agriculteurs, militant socialiste et devenu ministre de l’agriculture à la Libération, Tanguy Prigent, qui impulse le fermage, introduit dans le droit rural en 1945 et 1946. Son objectif était que les paysan.nes ne soient plus à la merci des propriétaires terriens qui usaient et abusaient des contrats verbaux, loyers excessifs et expulsions arbitraires.

Cette réforme a connu un véritable succès. Aujourd’hui encore, 51 % de la surface agricole dépend du « fermage ». Celles et ceux qui travaillent la terre bénéficient ainsi de baux de location longs (9 ans minimum), renouvelables automatiquement et dont les loyers sont encadrés et fixés chaque année au niveau départemental en tenant compte du potentiel agronomique des sols.

Les prix des terres agricoles moins chers en France

Cet encadrement des loyers a contribué à limiter le prix de la terre agricole française, même si d’autres outils permettent de maîtriser ces coûts (comme la Safer par exemple, en dépit de ses imperfections). Inégal selon les régions, et parfois très élevé, le prix moyen d’un hectare agricole en France est cependant bien moins élevé que dans le reste de l’Europe : il est de 6800 euros en France contre 11 000 euros en Europe.

Transmissible au conjoint.es et enfants, le bail d’un fermage ne peut être rompu par le propriétaire sans conditions. Il est sinon tenu de défendre cette rupture devant une juridiction spécialisée : le tribunal paritaire des baux ruraux. Si le ou la locataire apporte des améliorations au bien – c’est-à-dire la terre, les bâtiments ou le logement quand il y en a – celles-ci sont monnayables au moment de son départ. Et iel a un droit de préemption en cas de vente : le ou la fermier.e est prioritaire pour acheter. Ajoutons que toutes ces dispositions s’appliquent dès qu’un propriétaire loue une terre à une agriculteur.ice, même si aucun contrat n’est écrit.

« Il n’est pas possible de déroger au droit du fermage, précise Amel Bounaceur, avocate spécialisée en droit rural, du cabinet Approche vivante du droit. Même si les parties sont d’accord entre elles. On vient quelque part protéger les personnes contre elles-mêmes dans des situations de déséquilibre des rapports de force. Le fermage est un outil assez fort et assez unique qui permet de limiter les pouvoirs absolus de la propriété privée. »

Une rareté dans nos sociétés capitalistes

Une rareté dans nos sociétés capitalistes et un point d’appui solide pour s’installer quand on n’a ni terres ni capital pour acheter, ce qui est le cas pour de très nombreu.ses candidat.es aux métiers agricoles aujourd’hui. C’est pourquoi le fermage est défendu par le syndicats des jeunes agriculteurs (affiliés à la FNSEA) qui parlent de « lois révolutionnaires » à l’occasion des 80 ans de ce statut, mais aussi par la Confédération paysanne qui appelle à le défendre lors d’une journée anniversaire qui aura lieu début 2026.

Pour le moment, l’étendue des surfaces et des agriculteur.ices concerné.es par le fermage fait que le statut reste peu contesté. On observe quand même des tentatives de rabotage de ce droit, de la part des propriétaires fonciers notamment qui appellent à un assouplissement des règles. Les propositions de « bail rural à clauses agrivoltaïques » font aux aussi peser des risques sur le fermage, en prévoyant de déroger à l’encadrement des loyers sur les surfaces agricoles investies par des énergéticiens pour installer des panneaux solaires. Autres menaces : la multiplication des conventions d’occupation précaire, qui proposent des mises à dispositions foncières courtes, en général un an, renouvelables. C’est particulièrement vrai à proximité des villes qui étendent leurs zones commerciales et lotissements.

Mais c’est surtout l’augmentation des « travaux à façon » qui pose problème. De quoi s’agit-il ? De la délégation des travaux agricoles à des sociétés privées qui passent outre les systèmes de régulation du foncier agricole, dont le fermage. Avec les départs en retraite de dizaines de milliers d’agriculteur.ices ces prochaines années, ce phénomène pourrait s’aggraver.