Conditions de travail

« Le plus difficile, c’est ce flicage permanent » : à la Macif, les salariés craquent

Conditions de travail

par Lisa Noyal

Depuis plusieurs années, les salariés de la Macif alertent sur la dégradation de leurs conditions de travail. Entre la pression, la surveillance quotidienne et le rendement imposé, beaucoup se mettent en arrêt pour cause d’angoisse au travail.

« Quand je suis entrée à la Macif, j’étais super contente. Il y avait une bonne ambiance : on riait, on blaguait, on avait des horaires équilibrés… » Lors de son arrivée dans la mutuelle en 2013, Nora* [1] s’épanouissait en tant que téléconseillère. Mais la centralisation et la suppression des différentes directions régionales en 2017 puis un plan « stratégique » adopté en 2021 ont chamboulé la situation en interne.

La charge de travail a augmenté, le nombre d’heures travaillées également, et un large contrôle a été instauré [2]. D’après le baromètre social de la Macif de 2023, 41 % des salariés n’ont pas le sentiment que leur entreprise agit en faveur de la qualité de vie au travail. « Il y a un mal-être général, tous services confondus », poursuit Nora. Selon elle, les changements récents engendrent une pression énorme sur les employés. Au point que le nombre de démissions, d’inaptitudes ou d’arrêts a augmenté ces dernières années.

« J’adore mon métier, mais ce qui est compliqué, c’est tout ce qui parasite derrière : les objectifs, les chiffres, les tableaux... On est juste téléconseillers, pas trader ! », lâche Nora avec amertume. Quand la quadragénaire a intégré la Macif il y a dix ans, les objectifs de contrat étaient annuels et mutualisés. Aujourd’hui, le rythme s’est accéléré et les quotas sont individuels. « On doit faire neuf contrats par jour et par personne. C’est énorme, et ce n’est pas tenable », explique-t-elle.

Surcharge de travail

Stéphane*, conseiller, confirme : « Sur les douze personnes de mon service, en général, il n’y en a qu’une qui atteint les objectifs. Cela fait douter de la propreté des contrats vendus… » Il craint qu’avec la pression au rendement, certains contrats soient vendus en jouant sur les peurs des assurés, sans que ceux-ci en aient vraiment besoin. Stéphane voit ici une contradiction avec les valeurs mutualistes et solidaires affichées par la Macif.

La surcharge de travail semble par ailleurs toucher tous les services. Alice*, au service des sinistres corporels (celui en charge de gérer les accidents par exemple) depuis trois ans, doit traiter une quarantaine de dossiers par jour, en plus des appels. « On a des alertes quand on a 180 dossiers non traités, mais actuellement ça s’accumule plutôt à 500... », pointe-t-elle.

Les employées assistent également à un glissement des tâches, notamment dans les centres de relation client, où le temps passé au téléphone augmente largement sans que les autres activités diminuent. « On est devenu une plateforme téléphonique, s’indigne Sophie* qui travaille au service corporel depuis quatre ans. Au début, on n’avait pas autant d’appels, là on fait deux métiers, mais payés un seul… »

Pour inciter les salariés à vendre davantage, des jeux sont régulièrement organisés par les managers. « Par exemple, on m’a suggéré de donner une photo de moi quand j’avais trois ans, et quand les gens vendent un contrat ils ont un élément pour deviner que c’est moi. J’ai refusé, mais je suis seul dans mon groupe à avoir refusé », décrit Pierre*, manager à la Macif depuis 20 ans.

Les salariés sont divisés en équipes et les gagnants sont récompensés par un petit-déjeuner. Pour les salariés interrogés, ce système est infantilisant et inutile. « Je me considère comme conseiller commercial, je ne suis pas là pour faire avancer des pions en fonction du nombre de contrats vendus ou pour gagner un paquet de Schoko-Bons », critique Stéphane, désabusé.

Une surveillance généralisée

« On ne peut pas imaginer le nombre de tableaux qu’on a, tout est tracé », décrit Pierre, manager. En plus de la quantité de travail réalisé, une surveillance renforcée s’applique aux pauses et aux retraits. « On doit noter le nombre de contrats vendus, si on fait des entretiens avec les salariés [entretiens qu’il doit effectuer lorsque les salariés ne remplissent pas les objectifs, ndlr] ; et si une personne se met en retrait [pause déclarée entre deux appels,ndlr] on doit regarder pourquoi et combien de temps… » Pierre explique être régulièrement rappelé à l’ordre lorsqu’il ne remplit pas l’un des tableaux demandés.

Selon lui, la Macif a mis en place une surveillance constante des employés et a supprimé l’autonomie qu’il pouvait avoir dans son travail. « Aujourd’hui, je remplis des tableaux et je rends des comptes. J’ai des directives sur tout, même les diapos pour les réunions sont déjà faites. » « J’ai déjà vu des managers aller chercher quelqu’un aux toilettes », décrit aussi Sophie, au service corporel.

Emma*, téléconseillère depuis dix ans, explique de son côté avoir coupé les notifications du chat en direct à cause du stress que les messages réguliers génèrent. « On reçoit des messages toute la journée, quand on doit aller en pause, quand on doit revenir, quand le flux est fluide, on nous dit de continuer comme ça et quand il est tendu on nous dit d’accélérer », indique la téléconseillère en montrant des captures d’écran d’une journée type.

Emma dit également recevoir des messages lorsqu’elle passe trop de temps avec un sociétaire au téléphone ou qu’elle le met en attente pour trouver la réponse à sa question. « Le plus difficile, c’est ce flicage permanent et la pression commerciale : on nous demande toujours de faire plus. On est considéré comme des robots. On est un matricule pour eux, c’est tout ce qu’on est… », résume-t-elle.

Turn-over, burn-out et arrêts maladie

Quand Stéphane a commencé à travailler en tant que téléconseiller, il y a huit ans, il était très motivé. Il enchaînait les heures supplémentaires, venait au travail malade et ne se mettait jamais en arrêt parce qu’il aimait et croyait en son travail. Mais les objectifs de plus en plus inatteignables et la pression accumulée l’ont amené à remettre en question ses capacités. « Ils passent leur temps à nous enfoncer la tête. J’ai perdu confiance, je me demandais si j’étais bien fait pour ce métier », décrit le conseiller. Après avoir fait un bilan de compétences et trouvé un autre emploi, il décide finalement de quitter l’entreprise mi-juin.

Comme lui, Mathilde* a souhaité faire un point sur ses compétences à force de ne pas atteindre les objectifs demandés. « Le soir, quand je rentre chez moi, je me sens mal de ne pas avoir réussi. Je me remets en question », raconte cette dernière. Pour elle, l’ambiance en interne est « anxiogène », du fait de la pression trop grande.

Après avoir été déclarée inapte à son premier poste, Mathilde intégrera un autre service, mais toujours avec des objectifs et du téléphone. En bref, un poste similaire. « Conseiller par téléphone, c’est un métier dur, le soir quand je rentre, même le bruit de mes essuie-glaces m’insupporte... », témoigne-t-elle.

Les deux salariés ajoutent avoir dû se mettre en arrêt pendant plus d’un mois notamment à cause du stress engendré par leurs conditions de travail. Le bilan social de l’entreprise de 2022 affiche une augmentation générale du nombre d’arrêts-maladie. Ils sont passés de 132 700 en 2020 à plus de 182 200 en 2022. L’ensemble des personnes interrogées soulignent également un nombre important de départs des employés en CDI : de 6,95 % de turn-over en 2020 à 11,31 % en 2022.

Des tentatives d’alertes

Les salariés et l’ensemble des organisations syndicales signalent la dégradation progressive de leurs conditions de travail depuis plusieurs années déjà. « On a alerté plein de fois, ça concerne toute la France et tous les services », précise Dominique, délégué CGT.

Fin mai, l’ensemble des gestionnaires du service des sinistres corporels a envoyé un courrier à la direction demandant des solutions « à la hauteur des dégâts », notamment sur la question du flux téléphonique trop important et la quantité de travail à effectuer. À la suite de cette lettre, la Macif a formulé une proposition : ajouter une heure de réception des appels qui concernent uniquement ses propres dossiers. Cela a été jugé insuffisant par les salariés. Une journée de grève a été déclarée dans les services de gestion à distance (SDG) le 8 juin.

« Sur environ 250 personnes, seule une dizaine n’étaient pas en grève », renseigne Bruno, délégué de Force ouvrière. Durant de cette journée, la Macif a annoncé que « les appels routés normalement vers les services de gestion à distance seront dissuadés par un message demandant de rappeler en raison d’un problème technique ». Les clients de la mutuelle n’ont donc pas connu la réelle raison des appels bloqués.

Dans la foulée de cette journée d’action, la direction a annoncé la mise en place d’une journée blanche hebdomadaire, pendant laquelle les conseillerères ne prennent pas d’appel. La Macif nous affirme aussi que « des premières mesures à effets immédiats ont été prises pour répondre aux diverses expressions remontées par les collaborateurs, et un état des lieux est en cours afin de prendre les dispositions nécessaires et retrouver dans les meilleurs délais un contexte de travail serein. » Le service de communication ne nous a pas donné plus d’éléments sur les mesures en place.

Dominique, délégué de la CGT, n’a connaissance que de la mise en place d’un numéro vert d’assistance psy pour les salariésés, et de cette « journée blanche » hebdomadaire. Pour lui, une telle journée n’est pas une solution, car les appels vont alors s’accumuler et vont devoir être traités par la suite malgré tout.

Pour Bruno, également délégué syndical, malgré ce que dit l’entreprise, la direction de la Macif ne prend pas en compte les revendications portées depuis plusieurs années. « Tout l’humain a été perdu. C’est devenu une grosse machine, avec une intensification du travail. On fait remonter, mais on n’est pas écoutés… »

Lisa Noyal

Photo d’illustration : Un centre d’appel/CC BY-ND 2.0 The Open University via flickr.

Notes

[1Les prénoms suivis d’un astérisque ont été changés.

[2À la Macif, le nombre d’heures de travail par semaine était de 31 h 30 jusqu’en 2019. Aujourd’hui, les salariés travaillent 35 heures et les plages horaires sont davantage étalées sur la journée en plus de permanences supplémentaires.