Avec cinq caméras de télévision braqués sur lui, François Marciano, le nouveau directeur général de la société coopérative de Duralex, interpelle chaleureusement les journalistes, en tutoie certains. Il faut dire qu’il commence à bien les connaître, depuis l’annonce du redressement judiciaire de l’usine Duralex de la Chapelle-Saint-Mesmin, dans la banlieue d’Orléans, le 24 avril dernier.
Après avoir suivi le feuilleton judiciaire qui a conduit à la reprise du site par ses salariés, la presse était convoquée début septembre dans la vénérable usine dont la construction remonte à 1946, pour le lancement officiel de la toute nouvelle Société coopérative de production (Scop), et la présentation de son plan stratégique.
« Il y a onze ans, c’était du Zola cette entreprise. J’y ai fait la rencontre de salariés courageux et résilients », dit l’ancien directeur général du site, propulsé à la tête de la coopérative. En 20 ans, le site en est à son cinquième repreneur. Le dernier en date, c’était International Cookware, renommée depuis La Maison française du verre.
Le groupe qui possède la marque Pyrex, a racheté Duralex en 2021. La hausse des prix de l’énergie suite à la guerre en Ukraine a fait flamber la facture pour Duralex, qui a été contraint en 2022 de mettre son four - dont on aperçoit la cheminée de loin à la Chapelle-Saint-Mesmin – en sommeil pendant plusieurs mois. Les salariés sont alors placés en chômage partiel.
« Avec les salariés, on s’est dit qu’il fallait mieux être seuls que mal accompagnés », résume aujourd’hui le directeur. Dans la grande halle des expéditions, sur une estrade dressée pour la presse, François Marciano ouvre le bal de la présentation du nouveau Duralex. Au fil de cette matinée du 2 septembre, la presse et le gratin politique local prennent place sur des bancs installés par les salariés-associés pour écouter le nouveau chef d’orchestre de Duralex.
Pour médiatiser le lancement de la Scop, la direction a décidé de s’allier à l’entreprise Le Slip français, pour une campagne marketing baptisée « Allons enfants de la cantine ». Des packs bleu-blanc-rouge de six Gigogne, le célèbre verre de cantine, sont commercialisés depuis le début du mois, en partenariat avec la jeune marque textile qui a popularisé le nouveau « Made in France ».
Soutien des pouvoirs publics
Au pupitre, Sophie Brocas, la préfète du Loiret, vante « une aventure fabuleuse ». L’État a pris fait et cause pour le projet de Scop : la Banque publique d’investissement a garanti le prêt souscrit par les salariés à hauteur de trois millions d’euros, sur les quatre millions empruntés. La métropole d’Orléans a aussi injecté cinq millions d’euros pour racheter le foncier de l’usine. Et la région Centre-Val de Loire a apporté une garantie bancaire à la coopérative.
Grâce au soutien financier des pouvoirs publics, le projet des salariés de Duralex a pu l’emporter face aux autres offres de reprise déposées à la barre du tribunal de commerce d’Orléans, dont celle de Tourres et Cie, une holding spécialisée dans la verrerie.
« Maintenant les actionnaires, c’est nous ! » Tout en distribuant des packs de verre Gigogne aux invités après les discours, Maria répond aux nombreuses sollicitations des journalistes. Elle travaille au conditionnement chez Duralex depuis cinq ans, et a décidé d’engager 500 euros de ses économies dans la nouvelle Scop, soit le minimum pour entrer au capital. « Avant, La Maison française du verre aspirait une grande partie des bénéfices vers la maison-mère et ne laissait rien à Duralex. Avec la coopérative, on pourra décider collectivement des investissements à réaliser », continue-t-elle.
D’ici courant octobre, les salariés-sociétaires doivent se réunir en assemblée générale afin d’élire le futur comité directeur. « Moi, je ne me sens pas de me présenter. D’autres salariés connaissent mieux que moi les dossiers », poursuit Maria. Pour le moment, l’intérim est assurée par le directeur François Marciano et quelques autres, dont le directeur industriel Nicolas Rouffet.
138 salariés ont souscrit à la Scop
Quasiment tous les salariés présents arborent des chasubles Duralex, certaines floquées au marqueur en l’honneur de la nouvelle Scop. « Certains veulent que ça arrive, quelques un font en sorte que ça arrive », lit-on sur l’une d’entre elles. Les salariés affichent leur soulagement de voir l’usine sauvée après des mois d’angoisse. 138 salariés sur les 230 que compte le groupe ont souscrit à la Scop, pour un total de 60 000 euros. C’est cette somme qui a ensuite permis à la nouvelle direction d’obtenir des prêts bancaires pour un total de quatre millions d’euros.
« On a compris peu à peu que les anciens propriétaires étaient des profiteurs. Les bénéfices qu’on leur a fait empocher nous sont passés sous le nez. Avec la coopérative, je suis à nouveau confiant pour l’avenir », explique Patrick, cariste-conditionneur chez Duralex depuis six ans. Contrairement à lui, d’autres salariés continuent de douter de ce projet de coopérative, inédit en France par son ampleur industrielle. Une petite centaine n’a pas encore rejoint la Scop, tout en restant salariés de Duralex.
« L’inconnu fait peur, malgré les trois présentations que l’on a faites dans l’entreprise. On leur rappelle que la coopérative nous permet de garder tous les salariés : pas de perte d’emplois ni d’acquis sociaux », pointe Suliman El Monssaoui, délégué syndical CFDT. Représentatif chez Duralex, le syndicat défend depuis le début le projet de Scop aux côtés de François Marciano et du reste de la direction du site industriel de la Chapelle-Saint-Mesmin.
« On ravive la flamme autogestionnaire de la CFDT », s’amuse le syndicaliste, en référence à la lutte iconique des salariés de Lip, qui lancèrent avec l’appui de la CFDT une coopérative dans les années 1970 pour sauver leur usine. De son côté, la CGT s’est montrée réservée sur le projet dès le début du redressement judiciaire, annonçant publiquement soutenir l’offre de Tourres et Cie qu’elle considérait comme plus robuste sur le plan industriel et financier.
Faire des économies d’énergie
Après des années à enchaîner les redressements judiciaires et les repreneurs, les salariés-sociétaires et la direction de la nouvelle Scop espèrent apaiser les craintes des « Duralexiens et des duralexiennes », comme les appelle François Marciano. Pour assurer la pérennité financière du projet, la direction mise sur d’importantes économies d’énergie.
« On va commencer par installer des systèmes de contrôle en bout de ligne pour voir ou l’on peut réduire notre consommation d’électricité », explique Nicolas Rouffet, la voix à demi-recouverte par le bruit des chariots Fenwick chargeant des palettes. Le groupe réfléchit aussi à un réseau de récupération de chaleur fatale et à la pose de panneaux photovoltaïques sur les toits pour vendre de l’énergie aux collectivités locales.
Côté commercial, Duralex se fixe l’objectif de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2029, soit 30% d’augmentation. Pour ça, la coopérative compte sur son immense stock de vaisselle ainsi que sur le lancement de trois nouveaux produits par an. « Nous allons évoluer vers la couleur et le marché des boîtes de conservation, très porteur en ce moment, avec la tendance au zéro déchet », analyse Vincent Vallin, le tout nouveau directeur de la stratégie et du développement de Duralex, fraîchement arrivé dans la coopérative. « 500 packs sont déjà vendus depuis ce matin », annonce-t-il au milieu de son discours.
Le coup de com’ est réussi, Duralex est en passe de devenir l’étendard du « made in France », et a gagné de nombreux soutiens politiques locaux et nationaux, particulièrement à gauche. Pourvu que le verre reste plein.
Benoît Collet
Photo de une : À l’usine Duralex le 2 septembre/©Benoît Collet