La pile de courriers d’auto-inculpation ne cesse de grandir sur la table du café Korail accolé à la gare de Bayonne. « On s’approche des 4000 lettres, on ne pensait pas qu’on arriverait à ce chiffre quand on a lancé la campagne », dit Barthélémy Mottay, qui représente la Fédération syndicale unitaire (FSU) au sein d’un collectif créé en novembre 2024, nommé “J’accuse”. « Beaucoup de personnes ont signé ces lettres, tant dans le Pays basque Nord que dans la partie Sud, mais également à l’international » précise le syndicaliste.
Le collectif rassemble 80 organisations, associations d’aide aux migrants, syndicats, partis politiques. Il mène depuis près d’un an une campagne pour soutenir sept militant
es solidaires des exilé es, inculpé es par le parquet de Bayonne. Les quatre hommes et trois femmes sont poursuivi es pour « avoir facilité l’entrée ou la circulation en France de personnes étrangères », avec la circonstance aggravante que les faits auraient été commis « en bande organisée » selon l’acte d’accusation. Ils et elles risquent jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende. Leur procès se tient mardi 7 octobre à Bayonne.Le parquet reproche aux prévenudans un communiqué signé par une vingtaine d’organisations et accompagné d’une vidéo réalisée pendant la course par un média militant basque, le site Ahotsa info.
es d’avoir aidé 36 personnes à passer la frontière le 14 mars 2024, à l’occasion de la Korrika, une course à pied transfrontalière entre les villes d’Irun et de Bayonne. L’action avait ensuite été revendiquée quelques jours plus tard,Durcissement des contrôles de police
Depuis 2015, les autorités françaises ont rétabli les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. À Hendaye, le long du fleuve Bidassoa, qui fait office de frontière entre l’Espagne et la France, et jusque dans les montagnes des Pyrénées-Atlantiques, cette décision s’est alors traduite par un net durcissement des contrôles de police à l’encontre des étranger
es sans-papiers. Les exilé es, originaires pour la plupart d’Afrique de l’Ouest, butent alors contre cette frontière verrouillée par les forces de l’ordre.« Tous les jours, il y a des personnes qui attendent de passer la frontière, reprend Barthélémy Mottay. Quand elles y parviennent et qu’on les voit sur le bord de la route, on s’arrête et on les prend dans sa voiture, tout simplement. » Les habitantun lieu d’accueil ouvert en 2018 et financé par la communauté d’agglomération du Pays basque.
es solidaires déposent ensuite les nouvelles et nouveaux arrivant es à Bayonne, au centre Pausa,Elles sont sept personnes à passer en procès cette semaine. Mais « des dizaines d’autres personnes solidaires auraient pu être à la place des sept poursuivi
es », pointe le syndicaliste. Parmi les courriers d’auto-inculpation récoltés par le collectif qu’il anime, on trouve l’artiste basque Fermin Muguruza ou encore les sociologues Ugo Palheta et Michaël Löwy. « C’est aussi une manière de renverser la charge accusatoire, complète Thibaud Catté, du Nouveau parti anticapitaliste, membre du collectif. Ces personnes solidaires n’ont fait qu’aider des gens, or la réponse de l’État français, c’est la répression policière et judiciaire. »Des morts à la frontière
Le militant estime que l’accusation devrait davantage se porter sur la France et les pays européens, responsables selon lui de politiques migratoires ayant provoqué des dizaines de milliers de morts aux frontières extérieures de l’Europe. L’ONG espagnole Caminando fronteras estime ainsi qu’en 2024, plus de 10 400 exilés ont perdu la vie ou ont disparu en mer en tentant de rejoindre l’Espagne, étape migratoire précédant l’arrivée au Pays basque. « Au Pays Basque, au moins neuf personnes exilées sont mortes en tentant de franchir la frontière, noyées dans la Bidassoa ou percutées par un train en longeant la voie ferrée », rappelle Thibaud Catté.
Le procès survient dans un contexte local d’accentuation de la pression policière à l’encontre du réseau militant. « Avant, les personnes solidaires subissaient des contrôles répétés des forces de l’ordre, mais cela ne s’était jamais soldé par des poursuites judiciaires », note Amaia Fontang, membre de la fédération Etorkinekin-Diakité, qui regroupe 12 associations de soutien aux personnes exilées mobilisées dans le Pays basque.

Les choses ont changé en mars 2023, quand trois militantont été placé, pour « infraction d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’étrangers en France. « Un des militant es en garde à vue es a appris au cours de sa garde à vue qu’il était surveillé depuis des mois, qu’il avait été mis sur écoute », rappelle Amaia Fontang.
esLe parquet saisi par le préfet
Si aucune suite judiciaire n’a été donnée après ces gardes à vue, Amaia Fontang y voit malgré tout « un moment charnière ». Pour elle, les poursuites engagées suite à l’action menée pendant la Korrika, qui se sont soldées en octobre 2024 par le placement en garde à vue des sept personnes aujourd’hui mises en cause, représente un pas de plus dans « la criminalisation des solidaires ».
« Cette affaire revêt un caractère particulier, notamment car c’est le préfet des Pyrénées-Atlantiques qui a saisi le procureur », note pour sa part maître Maritxu Paulus Basurco, avocate de six des sept prévenu
es. Elle plaidera la relaxe lors de l’audience. « On se pose beaucoup de questions, ajoute-t-elle. Sept personnes sont accusées uniquement à partir d’une vidéo qui a été rendue publique après la Korrika. Pourquoi ces personnes-là plus que d’autres comparaissent ? »Initialement prévu le 28 janvier dernier, le procès avait été reporté au 7 octobre, afin de permettre au parquet de Bayonne d’examiner les questions préjudicielles que les avocates des solidaires souhaitaient poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à propos notamment de l’interprétation du délit d’aide à l’entrée de migrants sur le sol français lorsqu’il s’agit d’un geste purement humanitaire.
Des personnes solidaires assimilées à des passeurs
« À Bayonne, le tribunal a l’habitude de juger des personnes qui ont fait passer la frontière à des personnes exilées avec une contrepartie, développe l’avocate Maritxu Paulus Basurco. Ce n’est pas du tout le cas dans cette affaire, où on est dans un acte militant. » Pour l’avocate, il s’agit ici « d’une action de désobéissance civile ».
À l’approche du procès, plusieurs élu
es locaux ont exprimé es leur soutien aux militant es solidaires. Dans un manifeste rendu public en septembre, 17 maires de villes basques situées de part et d’autre de la frontière, dont les élu es d’Hondarribia, de Ciboure et d’Urrugne, demandent l’acquittement des sept citoyen nes poursuivi es et revendiquent « la nécessité d’une politique migratoire humaniste et réaliste dans laquelle la garantie des droits de toutes et tous sera une priorité ».Dans un post Instagram du 1er octobre, les député es Capdevielle Colette (Parti socialiste) et Peio Dufau (Euskal Herria Bai, une coalition de partis de gauche du Pays basque) défendent les militant es poursuivi es « pour avoir agi par humanité et solidarité » et déplorent que ce procès « criminalise la solidarité ».
Amaia Fontang craint que ce procès ne participe à jeter le discrédit sur le réseau d’aide aux exilés, « en diffusant, dans les médias et dans l’opinion publique, l’idée que des personnes solidaires soient assimilées à des passeurs ». La situation n’a toutefois pas atteint la détermination de la militante basque : « On se retrouve face à des autorités préfectorales et judiciaires qui essaient d’enrayer le mouvement de solidarité avec les exilés. Mais cette dissuasion ne fonctionnera pas, nous continuerons à aider et accompagner ces personnes. »