« Bienvenue en zone grise. » Inès* a les yeux rougis par la fatigue. Sa chambre est infectée par des cafards et punaises de lits. Actuellement en pleine période d’examens, l’étudiante en licence vit à Jean Mermoz, une résidence gérée par le Crous de Lyon. Le site compte 387 chambres simples. Inès, qui paie 150 euros par mois pour 9 m2, n’est pas la seule à être confrontée aux nuisibles. « Je suis descendue signaler à l’accueil qu’il y avait des punaises de lits dans ma chambre, raconte aussi Halima. On m’a dit qu’il y avait un protocole. » Officiellement, la direction du Crous s’engage à déménager immédiatement un étudiant touché, et à réaliser un traitement [1]. Mais la réalité s’avère bien différente.
« On m’a traité de menteuse à l’accueil, témoigne Halima. J’y suis retournée avec une punaise morte dans un bocal pour avoir une preuve. Il a fallu trois jours avant qu’on me prête un nettoyant vapeur ! » Suite aux alertes de plusieurs étudiants, une société spécialisée serait passée dans certaines chambres, mais pas dans toutes. « La chambre d’en face a été "traitée", pas la mienne », illustre Inès. La nuit, sa voisine laisse la lumière allumée, dans l’espoir d’éloigner les punaises. Mi novembre, Halima a fini par dormir durant trois nuits consécutives dans sa voiture. « En plus des punaises, le chauffage ne fonctionnait pas dans ma chambre » évoque t-elle, dépitée.
« Ce n’est pas "vétuste", c’est insalubre »
Car il n’y a pas que les punaises ou les cafards qui posent problème dans cette résidence construite dans les années 1960. Le système électrique est hors normes comme en attestent les fils dénudés à côté du lit d’Halima. « Je l’ai signalé en septembre et ce n’est toujours pas changé », dénonce t-elle. Des traces de moisissures, du fait de l’humidité, jalonnent les parties communes, ainsi que les plafonds des studios équipés de sanitaires [2]. Plusieurs résidents alertent également sur l’eau « jaune » qui sort des robinets. « La direction nous avait promis un compte-rendu des analyses d’eau, on ne l’a jamais eu », souligne Halima.
Alertée sur l’absence d’eau chaude dans un studio depuis un mois, la direction du Crous fait valoir « un [probable] problème de fonctionnement interne à la résidence » [3]. Halima assure ne pas avoir eu de chauffage pendant tout l’hiver. Une autre étudiante s’est retrouvée sans électricité durant plusieurs jours.
A ces difficultés quotidiennes s’ajoute le faible nombre de sanitaires communs par étage, six toilettes et cinq douches pour soixante étudiants... La direction du Crous de Lyon ne nie pas cette insuffisance, mais se retranche derrière les standards correspondant à la date de construction des bâtiments. La cuisine commune se résume à deux plaques chauffantes, un four, un micro-ondes, une table de 40x150 cm et deux chaises hautes vissées au sol. Quant au mobilier équipant les chambres, il n’est pas seulement « vieillot », mais souvent inutilisable. Des armoires ne ferment plus ou n’ont plus de poignées. Les carrelages et linos se décollent. « Ce n’est pas "vétuste", comme l’affirme la direction du Crous, c’est insalubre », insiste Halima.
« Le Crous c’est une politique de la peinture, c’est superficiel ! »
Ce qui met les étudiants en colère, c’est aussi la communication du Crous. « Sur leur site internet, ils nous font croire que cette résidence Mermoz est "l’affaire du siècle". » [4] La fiche de présentation mentionne un « parc arboré », un local à vélo couvert, trois salles de travail... Inès et Halima aspiraient à une chambre comme celles que l’on peut voir sur les photos. « C’est mensonger. Ils louent une chambre qui ne correspond pas aux critères minimum et on se retrouve ensuite piégé car le marché est saturé. Même si on est entre pauvres ici, on n’a pas à endurer ça ! »
Une grande partie des résidents à Mermoz sont d’origine étrangère et n’ont pas de famille en France. Un comité de lutte de la résidence s’est constitué depuis septembre 2019, rejoint par Halima. « Au départ, tout le monde était isolé dans sa chambre, et pensait que la situation était normale pour le prix. »
Les étudiants ont collecté des témoignages et photos de l’insalubrité, listé leurs revendications et, à force de persévérance, ont obtenu un entretien mi-octobre avec le directeur du Crous. Depuis, de petits travaux ont été réalisés. « Ils ont repeint sur les moisissures, uniquement dans les parties communes sans régler le problème d’humidité à la source, témoigne Inès. Le Crous c’est une politique de la peinture, c’est superficiel ! »
Pas de solution de logement pour les étudiants pauvres
Pour les cafards, le directeur du Crous renvoie la balle aux étudiants : « Cela tient aussi à l’hygiène des étudiants. Nos agents vident les poubelles des cuisines régulièrement, mais cela ne suffit pas. Les étudiants devraient s’en occuper plus souvent », déclarait-il en octobre. « Quand les cuisines et les toilettes sont sales, ils les ferment à clé, comme pour nous punir, dénonce Halima. On a le droit d’accéder à ces équipements ! On n’a pas à être punis pour les autres, c’est pas un camp. » « Récemment, une fille a signalé à l’accueil qu’elle n’avait pas d’électricité, évoque Inès. Il lui ont proposé une autre chambre mais il y avait des cafards. Quand elle le leur a dit, ils lui ont rétorqué : c’est soit la chambre sans l’électricité, soit les cafards... »
« Ils ne répondent pas aux attentes des étudiants car ils envisagent de démolir ces bâtiments dans les mois à venir », reprend Halima. Un des trois bâtiments a déjà été détruit. La date de 2021 pour la démolition des deux bâtiments restants est avancée par la direction du Crous. En lieu et place, il n’y aurait plus de chambres simples mais uniquement des studios à un prix plus élevé - les montants mentionnés varient de 350 à 400 euros.
Aucune offre équivalente au loyer actuel des chambres simples, 150 euros, n’est prévue. Inès, dont les parents vivent en Algérie et qui n’a pas de bourse, n’aura pas les moyens de se loger dans la deuxième ville étudiante française. « Je travaille déjà pour financer mon logement et mes études. Je devrai certainement quitter Lyon. »
« J’ai failli arrêté mes études tellement je n’en pouvais plus »
Le comité de lutte se bat pour qu’une solution de relogement, pour le même prix, soit proposée à l’ensemble des étudiants vivant à Mermoz. C’est ce qu’a récemment obtenu Halima. « Après avoir dormi dans ma voiture pendant trois nuits, je me suis postée devant le siège du Crous avec ma boite contenant des punaises de lit, en assurant que je ne partirai pas tant qu’ils ne me proposeraient pas une solution. » Depuis le 15 novembre, le Crous l’a relogée dans une autre résidence pour 150 euros. Elle continue de se mobiliser pour toutes celles et ceux qui n’ont pas sa chance. « Je les vois qui vivent toujours là, et ça me fait mal au cœur. »
Halima cite les cas d’étudiants qui ont arrêté leurs cours ou sont en dépression du fait des conditions de logement insalubres. « Des parents ont déménagé récemment une jeune résidente, en craquage complet. Moi même j’ai failli arrêter mes études tellement je n’en pouvais plus. » Du bout des lèvres, elle rappelle que le jeune étudiant qui s’est immolé devant le siège du Crous à Lyon, le 8 novembre, a vécu dans l’un des bâtiments de la résidence Jean Mermoz avant de perdre sa bourse (notre reportage) [5]. « La précarité tue », mot d’ordre du mouvement né à la suite de ce geste désespéré, n’est pas qu’un simple slogan.
Sophie Chapelle (texte et photos**)
* Le prénom a été changé à la demande de l’étudiante qui redoute d’éventuelles sanctions pour avoir témoigné.
** Sauf mention contraire.
Résidence étudiante insalubre : « Même si on est entre pauvres ici, on n’a pas à endurer ça » from Bastamag on Vimeo.