Régulation de l’installation des médecins : de quelle liberté parle-t-on ?

Débats

Des étudiantes en médecine mobilisent contre la proposition de loi Garot visant à réguler l’installation des médecins contre les déserts médicaux. D’autres étudiants la soutiennent, dont le collectif Pour une santé engagée et solidaire. Tribune.

par Pour une santé engagée et solidaire

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L’article 1 de la proposition de loi contre les déserts médicaux, dite loi Garot, propose de créer une autorisation d’installation des médecins, délivrée par l’ARS. En zone sous‑dotée, l’autorisation est délivrée de droit pour toute nouvelle installation. Dans tous les autres cas, c’est‑à‑dire lorsque l’offre de soins est au moins suffisante, l’autorisation est délivrée uniquement si l’installation fait suite à la cessation d’activité d’un praticien pratiquant la même spécialité sur ce territoire.

Depuis des années, la France est confrontée à la multiplication des déserts médicaux : des territoires dans lesquels les médecins, généralistes et spécialistes sont trop peu nombreux, et où les patientes attendent plusieurs mois un rendez-vous médical. Ces délais impliquent des pertes de chance et des renoncements au soin. D’abord limité à quelques territoires ruraux, la situation concerne aujourd’hui des villes et des quartiers de grandes agglomérations. À titre d’exemple, 37 départements métropolitains comptent aujourd’hui moins de 5 dermatologues, et la situation est la même concernant les ophtalmo dans 19 départements. 1

Comme l’indique la proposition de loi s’appuyant sur les chiffres du ministère de la santé, la désertification médicale touche aujourd’hui près de neuf millions de personnes en France. Dans les territoires où l’offre de soins est la plus insuffisante, il faut 11 jours pour obtenir un rendez‑vous avec une généraliste, 93 pour une gynécologue et même 189 jours pour une ophtalmologue.

Les départements les mieux dotés ont aujourd’hui 1,7 fois plus de médecins généralistes et 2,8 fois plus de spécialistes par habitante que ceux les moins dotés, d’après la commission des affaires sociales du Sénat. Or, selon les projections de démographie médicale, la situation devrait même se dégrader dans les prochaines années avec le vieillissement généralisé de la population.

Enjeu de santé publique

Pour enrayer ce processus, plusieurs mesures politiques ont déjà été prises. Il y a d’abord eu un élargissement puis la suppression du numerus clausus en 2021 visant à augmenter le nombre de médecins formées. Ensuite, des mesures incitatives à l’installation en zones sous-dotées, ont été mises en place : aides à l’installation des professionnelles de santé dans les zones peu dotées en 2021, instauration d’un guichet unique de ces aides et élargissement du champ de compétence de certaines professions de santé en 2023, allègement du temps administratif des médecins en 2024. Ces dispositifs sont aujourd’hui insuffisants, et le fossé ne cesse de s’élargir entre quelques oasis sur-dotées et des déserts médicaux qui se multiplient.

La proposition de loi Garot propose d’affronter cette problématique et l’enjeu de santé publique qu’elle constitue, en régulant l’installation des médecins dans les zones les plus dotées (9 à 13% du territoire selon les spécialités). Il sera donc toujours possible de s’installer dans une zone fortement dotée au départ d’une autre professionnelle et près de 90 % du territoire reste sous un régime d’installation libre.

Par cette disposition, la loi s’inscrit dans une volonté de redonner concrètement un droit à la santé, aujourd’hui perdu par des millions de personnes. Alors qu’elle est décriée par des organisations oublieuses de leur éthique professionnelle, cette mesure probante est déjà en place dans plusieurs États européens comparables à la France : Danemark, Allemagne, Norvège.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la logique de la Constitution française mais aussi des textes fondamentaux de notre profession, serment d’Hippocrate et code de déontologie : le droit à la santé pour toutes et tous, sur tout le territoire français. Ce droit ne peut se réduire à une incantation vaine, il faut se donner les moyens de l’appliquer et d’affirmer les principes humanistes d’une médecine au service de la population. Aujourd’hui ce droit est bafoué pour toutes les personnes qui participent pourtant comme les autres à la Sécurité sociale. Alors qu’elles cotisent de la même manière, elles ont un accès à la santé amputé par l’inégale répartition des services de santé. Nous ne pouvons accepter de cautionner une telle injustice.

Nous croyons que la volonté de soigner la population n’est pas seulement un métier mais une vocation. Pour cette raison, nous ne craignons pas qu’une régulation minimale affecte le nombre de candidates aux études de médecine qui sont aujourd’hui les plus demandées (778 000 vœux sur Parcoursup en 2025). Au contraire, nous croyons qu’en tant que futures professionnelles de soin, nous devons aligner nos revendications avec notre éthique.

Recul des services publics

Bien sûr, pour nécessaire qu’elle soit, cette loi sera bien insuffisante à résorber les inégalités de santé. La pénurie de médecins reste un problème majeur dont il n’est pas inutile de rappeler que la mise en place du numerus clausus en 1971 a été largement soutenue par les syndicats de médecins libéraux et l’Ordre des médecins avant qu’ils ne soient obligés de revenir précipitamment dessus au vue de la catastrophe.

À l’époque, cette défense se fait déjà pour limiter la concurrence, garantir une patientèle captive aux médecins libéraux ; défendre donc leur liberté d’installation sans se soucier des conséquences dramatiques pour les patientes. Pour réparer cette faute historique il faut du temps mais aussi des moyens

Les médecins choisissent, et c’est compréhensible, leur lieu d’installation en fonction des conditions d’exercice et de la qualité de vie locale. C’est ainsi que le désengagement de l’État et le recul des services publics fragilisent encore plus ces endroits de la carte qui pourtant ont le plus besoin de médecins de par leur population vieillissante et précaire. De fait, une zone sous dotée en médecin, c’est aussi souvent une zone sans poste, crèche, école, transports en commun, tribunal de proximité…

Alors, que faire face à cette situation ? Si la proposition de loi Garot offre une réponse d’urgence, elle ne peut être la seule solution. Tout d’abord, il est impératif d’améliorer les conditions d’exercice des professionnelles de santé dans ces territoires. Cela passe par la création de centres de santé pérennes, comme le défend une récente tribune de la Fédération nationale des centres de santé, financés et soutenus par les pouvoirs publics, et l’implantation de maisons de santé pluridisciplinaires. Ces dispositifs permettent de regrouper divers professionnelles dans un même espace de soins, et devront s’accompagner d’un élargissement des champs de compétence des professions de santé.

En outre, une politique globale d’aménagement du territoire est nécessaire. Il est temps d’agir à la racine pour une égalité réelle d’accès aux services publiques partout en France. Créer les conditions d’attractivité des soignantes, c’est une lutte radicale pour revitaliser certains territoires abandonnés par l’État et rendre aux habitantes leur accès à la culture, au droit, à la mobilité, à la santé, etc.

Rétablir un droit à la santé

Il est aujourd’hui essentiel de réguler le secteur libéral, en commençant par le secteur 2, et d’agir à la fois sur l’installation et sur le reste à charge, afin de rééquilibrer l’offre de soins et de la rendre réellement accessible à toutes et tous.

La décentralisation des formations en santé, évoquée dans l’article 3 de la proposition de loi, est également primordiale. Cela passe par l’offre de formation initiale, les stages, ainsi qu’une régionalisation de l’internat et un renforcement des périodes d’apprentissage en dehors des CHU. Cela ne pourra se faire sans une revalorisation globale du statut des externes et des internes. Ces mesures, couplées à l’augmentation du numerus clausus, exigent un financement de nos universités à la hauteur des enjeux. Luttons contre les coupes budgétaires actuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche !

Enfin, accélérons drastiquement les procédures d’autorisation d’exercice des PADHUE (Praticiens à diplôme hors Union européenne). Il est temps d’accorder une vraie reconnaissance à ces médecins qui font tourner les établissements de santé sur tout le territoire dans des conditions de travail désastreuses. La volonté du gouvernement d’utiliser ces médecins étrangerères comme des variables d’ajustement à placer dans les zones délaissées est scandaleuse et nous devons refuser cette logique d’installation raciste.

La régulation ne s’oppose pas, comme certains voudraient nous le faire croire, à ces autres solutions ; elles sont complémentaires.

Pour que ces mesures soient réellement efficaces, il est crucial de repenser profondément notre système de santé, de soutenir les professionnelles là où ils sont nécessaires, et d’investir dans des solutions pérennes pour garantir un accès aux soins et aux services publics sur tout le territoire nationale. C’est ainsi que nous pourrons espérer rétablir un véritable droit à la santé pour toutes et tous.