Ce mardi, l’Assemblée nationale examine à nouveau une proposition de loi transpartisane portée par le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garot. Le texte entend lutter contre les déserts médicaux en régulant l’installation des médecins, comme c’est déjà le cas pour les pharmaciens, les kinés, les infirmières et infirmiers et sages-femmes en libéral, et depuis le début de l’année pour les chirurgiens-dentistes.
Son article 1 prévoit de conditionner l’installation de nouveaux médecins dans les zones déjà sur-dotées : il faudra qu’un médecin parte pour que soit autorisée une installation. L’idée est de pousser les médecins à s’installer dans les zones sous-dotées. L’article 1 a déjà été adopté à l’Assemblée nationale le 2 avril, par 155 voix contre 85 (le RN a voté contre ainsi que la majorité des députés macronistes présents, l’ensemble de la gauche a voté pour), malgré l’avis défavorable du gouvernement. La proposition de loi recueille le soutien de 250 députés de gauche et de droite républicaine.
Mais l’idée suscite la colère d’une partie des médecins. Le 29 avril, une manifestation contre la régulation a réuni plusieurs milliers de professionnels dans plusieurs villes. « Qui peut croire que la solution : "Vous manquez de médecins ? On va les contraindre à s’installer et à travailler jour et nuit", ait une quelconque chance d’être efficace ? critique ainsi le principal syndicat de généralistes, MG France. MG France avertit tous les parlementaires qui cherchent légitimement à améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens : toute contrainte supplémentaire sur un métier déjà peu attractif va entraîner rapidement une baisse des effectifs. »
D’autres groupes professionnels, minoritaires, ne s’opposent pas aussi catégoriquement à la régulation, comme le groupe d’étudiantes et étudiants en médecine Pour une santé engagée et solidaire. « Nous, étudiantes et étudiants en médecine, appelons à examiner sérieusement cette proposition de loi et la situation qui y a mené », a défendu le collectif dans une tribune. La proposition de loi Garot propose de réguler « l’installation des médecins dans les zones les plus dotées », soit « 9 à 13 % du territoire selon les spécialités , souligne ce collectif. Il sera donc toujours possible de s’installer dans une zone fortement dotée au départ d’un e autre professionnel le et près de 90 % du territoire reste sous un régime d’installation libre », ajoute le groupe.
En face, le Premier ministre François Bayrou a ouvert une autre piste. Fin avril, il annonçait un « pacte de lutte contre les déserts médicaux ». Mais plutôt que de réguler les installations, il veut créer une mission de solidarité obligatoire des médecins, en leur demandant d’aller deux jours par mois effectuer des consultations dans les territoires les plus en difficulté. Des initiatives en ce sens existent déjà dans quelques départements, à l’image des Médecins solidaires.
Les élus locaux aussi donnent de la voix sur le sujet. Ce 4 mai, 1500 élus locaux dont plus de 900 maires, issus de 68 départements, ont co-signé un texte publié dans La Tribune Dimanche appelant les parlementaires à voter la proposition de loi de régulation d’installation des médecins.
« Nous partageons la détresse de ceux qui n’ont plus de médecin, et nous inquiétons du sentiment d’abandon qu’elle nourrit, alors que se creusent chaque jour davantage les inégalités d’accès aux soins. », souligne leur texte. Charlotte Blandiot-Faride, maire (Parti communiste) de Mitry-Mory, en Seine-et-Marne, et vice-présidente de l’Association des petites villes de France (APVF), fait partie des signataires. Entretien.
Basta! : Vous avez signé aux côtés de plus de 1500 élus locaux une tribune de soutien à la proposition de loi transpartisane portée par Guillaume Garot pour la régulation de l’installation des médecins. La question des déserts médicaux concerne-t-elle aussi votre ville, Mitry-Mory, qui se trouve pourtant en région parisienne ?

Charlotte Blandiot-Faride : Cette proposition de loi est soutenue depuis longtemps par l’Association des petites villes de France. Mais je la soutiens aussi à titre personnel, dans ma fonction de maire à Mitry-Mory. Je suis dans un département, la Seine-et-Marne, qui est un des plus sous-dotés de France en médecins alors que nous nous trouvons en Île-de-France, donc pas dans une région isolée, mais avec malgré tout un très mauvais taux de couverture.
Depuis que je suis maire – cela fait dix ans – c’est une question à laquelle on s’est attelé sous diverses formes, en mettant à disposition des locaux pour les médecins, en salariant des médecins depuis maintenant six ans, en créant un centre municipal de santé pour essayer de couvrir le déficit en offre de soin.
Si les élus locaux ne s’étaient pas mêlés de cette question-là depuis une dizaine d’années en essayant d’apporter une réponse médicale sur leur territoire, nous n’aurions à Mitry-Mory plus qu’un ou deux médecins pour 21 000 habitants. Les élus locaux investissent. Mais cette manière de faire provoque aussi souvent une compétition entre les territoires pour attirer les médecins. Donc, au final, tout le monde perd. Et combien de collègues maires me disent : « J’ai construit la maison de santé, et elle est désespérément vide. »
Aujourd’hui, on pense que cette régulation de l’installation des médecins est un outil pour répondre à un problème qui est devenu criant. Six millions de personnes n’ont pas accès à un médecin généraliste, et je ne parle même pas des spécialistes. Nous avons besoin que la puissance publique s’en mêle.
La force de cette proposition de loi est d’être transpartisane. Même si idéologiquement certains étaient opposés à cette question de régulation, aujourd’hui, ils pensent aussi que c’est un outil essentiel pour prévenir un risque majeur qui va encore s’aggraver dans les années à venir. Parce qu’on sait le temps qu’il faut pour former un médecin, alors qu’on est déjà au milieu d’une catastrophe sanitaire.
Existe-t-il aussi sur le sujet un accord transpartisan de maires d’obédience différentes au sein de l’Association des petites villes de France ?
C’est vraiment la force des associations d’élus locaux, elles réunissent des maires de différentes obédiences qui ont envie d’œuvrer ensemble pour avancer face à des problèmes auxquels ils sont confrontés, en essayant de trouver des propositions qui feront le plus large consensus.
La question de la régulation des médecins a souvent été avancée dans les congrès de l’APVF. Car devant certaines réalités, il faut bien trouver les outils nécessaires. La santé, ce n’est pas un service quelconque. C’est vital. L’État s’est déjà permis de réguler des professions comme les pharmaciens, les kinésithérapeutes. Il n’y a rien d’étranger à ce que l’État, à un moment donné, ait une vision de l’aménagement de son territoire et des services qui s’y développent, y compris avec des professions libérales. Ça peut être également le cas des médecins. En tout cas, temporairement. On espère que cette mesure ne sera pas pérenne : à un moment, on aura formé assez de médecins pour se passer à nouveau de cette régulation.
Parmi les signataires de la tribune, il y a un grand nombre de maires de toutes petites communes rurales. Pensez-vous vraiment que le même outil, la régulation, puisse être efficace à la fois pour des villes de région parisienne comme Mitry-Mory et pour des villages ?
Nous faisons face à un même problème dans différents territoires. Ce qui est d’ailleurs très frappant. On a, à 25 kilomètres de Paris, les mêmes difficultés d’accès à des médecins que dans des territoires très retirés. Par ailleurs, je ne suis pas naïve. Je sais bien que la régulation de l’installation ne sera pas une baguette magique. Seulement, devant la gravité de la situation, il faut utiliser tous les outils à notre portée.
Permettre aux habitants et aux habitantes d’avoir accès à des soins de proximité, c’est aussi aider au maintien à domicile des personnes âgées par exemple, et aider à désengorger l’hôpital, qui est extrêmement en souffrance. Parce que pour beaucoup, le seul recours aujourd’hui, faute de médecin, c’est d’aller aux urgences, y compris pour de la bobologie. Est-ce que la régulation répondra à tous les problèmes ? Certainement pas. Mais c’est un pas supplémentaire pour essayer, concrètement, de faire quelque chose.
J’espère vivement que le trajet parlementaire de cette proposition de loi va se poursuivre, qu’on ne va pas y renoncer. Je pense qu’il y aurait dans cette période de crise politique que traverse notre pays quelque chose d’assez vertueux à relier des demandes des habitants, des élus locaux, de parlementaires, pour répondre à un problème vital de manière transpartisane.
Que pensez-vous de la proposition de François Bayrou, d’obliger les médecins d’aller deux jours par mois effectuer des consultations dans les déserts médiaux, plutôt que de réguler les installations ?
C’est un effet de com’. Ce n’est pas sérieux. Il ne s’agit pas de faire l’aumône aux territoires en manque de médecins. Nous avons besoin d’un maillage de territoire. Je salue plutôt le travail qui a été fait par ces parlementaires qui, au-delà de leur clivage, au-delà d’enjeux politiques et électoraux, se sont vraiment attelés à la problématique et tente d’y répondre.
Comment réagissez-vous face aux syndicats et associations de médecins ou d’étudiants et étudiantes en médecine qui s’opposent fermement à toute régulation des installations ?
Je ne suis personne pour critiquer ce que les médecins revendiquent. Je comprends que le lobby des médecins dise qu’ils ne veulent pas de coercition. D’ailleurs, qui en voudrait ? Personne. On ne demande pas sur le fond d’être d’accord sur la régulation. On cherche une réponse à un instant T, dans lequel la responsabilité des médecins doit être questionnée pour répondre aux problèmes des déserts médicaux.
Encore une fois, je crois que la régulation peut être temporaire. Dans 20 ans, nous n’aurons sûrement plus besoin de cette règle. Il y a un moment où il faut avancer sur une possible répartition de la charge. Nous, les élus locaux, sommes prêts à prendre notre part. Quand une commune investit pour créer des locaux pour des médecins, elle engage le budget de la commune sur une compétence qui n’est pas du tout la sienne.
À Mitry-Mory, j’ai salarié cinq médecins et deux sages-femmes. J’engage le budget de ma commune. Et c’est un budget dont je pourrais me servir pour autre chose. J’accepte de venir compenser des failles du système. Chacun doit faire sa part du chemin.
J’imagine que l’accès aux spécialistes est encore plus difficile même à Mitry-Mory…
Nous avons à Mitry-Mory un cardiologue, un gynécologue et un pédiatre. Ce qui est rare. Mais je vous assure que c’est à force de conviction et que c’est un travail de très longue haleine, qui n’est jamais acquis d’ailleurs. Aujourd’hui, même si vous avez un médecin, du jour au lendemain, il peut évidemment partir. Et il laisse derrière lui une file de patients, entre 1000 et 2000 patients, qui se retrouvent sans accès aux soins. J’ai déjà fait l’expérience de ce genre de situation. Cette instabilité est très compliquée à gérer. Là-dessus, la régulation pourrait aider.