Réactionnaires

Rocher Mistral, un « Puy du Fou provençal » qui réécrit l’histoire et fait fi des lois

Réactionnaires

par Pierre Isnard-Dupuy

Le parc de loisirs Rocher Mistral, ouvert en 2021 près d’Aix-en-Provence, réécrit l’histoire provençale pour glorifier le clergé et la noblesse locale. Son implantation est source d’un long conflit pour atteintes à l’environnement dans la commune.

Un « Puy du Fou » en terre provençale pour promouvoir une « authenticité » historique et culturelle régionale. La première à en avoir eu l’idée en 2015 fut Marion Maréchal-Le Pen, alors candidate FN à l’élection régionale. Elle a perdu l’élection, l’idée est restée. Martine Vassal (LR), candidate malheureuse à la mairie de Marseille en 2020 et à sa succession à la tête d’Aix-Marseille Métropole, l’avait inscrit dans son programme. Mais c’est par la volonté d’un promoteur privé que le projet a vu le jour du côté du château de La Barben, non loin d’Aix-en-Provence.

Ce « Rocher Mistral » ouvert à l’été 2021 en est aujourd’hui à l’aube de sa troisième saison touristique, en dépit de l’absence d’autorisations d’aménagements pour ses parkings, sa billetterie et ses scènes extérieures, installés pour majeure partie sur des terres agricoles. Ce non-respect du Code de l’urbanisme lui vaut une convocation au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence le 14 novembre prochain.

Le nom du parc à thème est un hommage au poète Frédéric Mistral, fondateur au milieu du 19e siècle du mouvement culturel et linguistique du Félibrige, qui a fait renaître la langue provençale. Le lieu propose d’édifiantes fresques présentées comme historiques, à grand renfort de sons et lumières, pour « toucher le spectateur au cœur par l’émotion », selon Vianney d’Alençon, qui en est le concepteur. Le château de La Barben au passé millénaire est connu comme l’un des plus beaux de la région, bâti sur un roc dans un écrin boisé à la confluence de la Touloubre et de l’un de ses affluents, en contrebas d’un plateau de garrigue pierreuse.

Gloire au clergé et à la noblesse

Outre des danses folkloriques et des mises en scène de nouvelles d’Alphonse Daudet, les visiteurs peuvent admirer des représentations à la gloire du clergé et de la noblesse locale. Ainsi, les moines de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, premiers propriétaires du château, sont mis à l’honneur comme des bâtisseurs de la Provence. Le confidentiel seigneur de Pontevès, de retour de croisade, ferraille pour reconquérir son fief de La Barben et sa promise dans un spectacle de cape et d’épée. En nocturne, « les grands de Provence », contemporains de Louis XIV, « de tous comtés accourent », vante la bande-annonce du spectacle son et lumière Les Féeries des jardins Le Nôtre.

Vue du château de la Barben
Le château de la Barben.
©Pierre Isnard-Dupuy

À l’intérieur de la citadelle médiévale, des parcours scénarisés immergent le visiteur au cœur de la révolte des Cascavèus, survenue à Aix en 1630 contre un édit de Richelieu – la plèbe protestataire ravagea le château. Et conte la vie de Claude de Forbin, officier de la marine royale de Louis XIV devenu amiral et général des armées du roi de Siam. Celui-ci n’a pas de lien avec La Barben, à part celui d’être issu d’une branche cousine de la famille de Forbin qui a possédé le château durant plusieurs siècles. La nouveauté 2023 est un spectacle nocturne sur Napoléon dont la sœur eut une liaison avec un Forbin. Aucune source historique consolidée ne confirme qu’elle a séjourné à La Barben, contrairement à ce que claironne la communication du parc Rocher Mistral.

Accusations d’atteintes à l’environnement

Hors des remparts, les polémiques enflent. Rocher Mistral est dénoncé par la fédération départementale de France nature environnement (FNE 13) comme une menace écologique et par des riverains comme portant atteinte au cadre de vie. L’agence régionale de santé a reconnu que le bruit incessant du parc du matin jusqu’à tard le soir peut avoir des conséquences sur la santé des habitants des alentours. Malgré cela, ceux-ci ont été déboutés par la justice à ce sujet et deux foyers ont déjà déménagé.

De son côté, la mission régionale d’autorité environnementale a relevé des risques de détérioration de l’habitat d’espèces protégées dont des chauves-souris, des murins à oreilles échancrées, présentes dans les sous-sols du château et un couple d’aigles de Bonelli. Un rapace pourtant valorisé par le parc dans « Le souffle de la Provence », une vidéoprojection à 360° qui survole les paysages comme « sur le dos de l’aigle de Bonelli ».

Publicité pour l'ouverture de la troisième saison de Rocher Mistral sur un abribus à Aix-en-Provence
Publicité pour l’ouverture de la troisième saison de Rocher Mistral sur un abribus à Aix-en-Provence.
©Pierre Isnard-Dupuy

Frédéric de Lanouvelle, le directeur général adjoint du parc Rocher Mistral, balaie ces critiques. Selon lui une pièce est dédiée à l’épanouissement de la colonie de chauves-souris. Plutôt qu’avoir diminué de 600 à 468 individus comme l’affirme la mission régionale d’autorité environnementale, la population de chauves-souris du site serait en croissance. « Elle se porte bien, les chiffres partagés par la mission régionale sont erronés », nous écrit-il par courriel en s’appuyant sur un rapport de l’association du Groupe chiroptères de Provence, partenaire du parc.

« Patrimoine, histoire et environnement » constituent les trois piliers brandis par Rocher Mistral. Le parc a ainsi projeté de mettre en exploitation des cultures typiques sur 80 hectares : amandiers, vignes, chèvres du Rove et brebis mérinos d’Arles. Pour l’heure, cette ambition agricole se limite à un champ de lavandin, des ruches et quelques rares têtes de bétail.

Menaces sur les opposants

À propos de l’absence d’autorisations pour les aménagements extérieurs, Frédéric de Lanouvelle assume. « On comprend très bien qu’il faille des autorisations, mais parfois, on se demande si toutes ces autorisations sont vraiment nécessaires, a-t-il déclaré en février à l’Œil du 20 heures de France 2. On prend la responsabilité de le faire, mais on a échangé avec les services [de l’État] pour savoir dans quelle mesure ça posait un gros problème. Et on a compris que ça ne posait pas un gros problème », défend-il face caméra. Stéphane Coppey, de France nature environnement, dénonce « une politique du fait accompli » par laquelle Rocher Mistral se développe « comme un rouleau compresseur, en attendant d’obtenir des régulations a posteriori ».

Pour sa part, la municipalité de La Barben (800 habitants) multiplie les arrêtés d’interdiction d’ouverture et affirme vouloir faire appliquer la réglementation. Début 2023, elle a pris trois arrêtés de sursis à statuer, gelant pour deux ans les demandes de permis d’aménager de nouvelles infrastructures pour l’extension du parc. Rocher Mistral considère l’action du maire, pointé en sa qualité de riverain, comme une prise illégale d’intérêt. Devant la justice administrative, le parc réclame 14 millions d’euros de dommages et intérêts à la mairie au titre d’un préjudice économique, cinq fois le budget annuel de la commune. Le projet d’extension a récemment fait l’objet d’une enquête publique pour le défrichement de cinq hectares. Plus de 90 % des 500 répondants ont fait part d’avis négatifs.

Une affiche du parc du Rocher Mistral sur laquelle sont représentées deux hommes et une femme en costume d'époque devant le château, avec l'inscription "spectacles cascades et émotions"
Une affiche du parc du Rocher Mistral.

Malgré les irrégularités, la préfecture laisse le parc tourner. Pourtant, ses services, qu’ils s’occupent de la sécurité, de patrimoine ou d’environnement, ont rendu des avis souvent défavorables sur le projet. Le dernier en date, de la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d’incendie et de panique, se disait « défavorable à la poursuite de l’exploitation de l’établissement ».

Ce rapport d’une visite inopinée le 28 avril, que basta! a consulté, observe « des lacunes dans la culture de la sécurité et de la maîtrise technique des installations de la part de l’équipe d’encadrement ». En outre, « la sous-commission a constaté que l’exploitant a ouvert un troisième circuit dit circuit “visite” sans avoir déposé de dossier de demande d’autorisation ». La direction de Rocher Mistral ne s’embarrasse pas des contraintes administratives.

De riches soutiens

À l’origine de ce Puy du fou saveur provençale se trouve Vianney d’Alençon, entrepreneur lyonnais trentenaire proche des milieux catholiques traditionalistes. Il a acquis fin 2019 le château de La Barben pour 10,5 millions d’euros. Vianney d’Alençon se présente comme un autodidacte sans diplôme. Il a le soutien de personnalités influentes : Benoit Habert, dirigeant du groupe Dassault et gendre de feu Serge Dassault ; Vincent Montagne, membre de la famille Michelin et PDG du groupe de presse et d’éditions catholique Média-Participations ; et la famille Deniau, descendante de l’académicien Jean-François Deniau, qui fut ministre sous Pompidou et Giscard.

Ces généreux actionnaires permettent d’assurer un investissement total de 30 millions d’euros, dont 6 millions de subventions du département et de la région. « C’est moins une histoire d’argent que de projet : j’ai apprécié sa vision globale d’une expérience provençale », a confié Vincent Montagne aux Échos, du groupe Média-Participations.

Régulièrement, la direction de Rocher Mistral rejette par communiqué de presse la comparaison avec le Puy du Fou. Elle semble pourtant remixer les ingrédients du parc vendéen. Comme Philippe de Villiers au Puy du Fou, c’est Vianney d’Alençon qui tient la plume des spectacles dans lesquels jouent de nombreux bénévoles. Une précédente initiative de l’entrepreneur au château de Saint-Vidal, en Haute-Loire, a été qualifiée de « Puy du Fou auvergnat » par la presse et par son plus grand soutien, le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez.

Une vision réactionnaire de la Provence

Vianney d’Alençon l’assure, son « domaine d’authenticité » ne fait pas de politique. Ainsi, Rocher Mistral « fait vivre à l’année la culture de Provence », vante-t-il. Mais de quelle culture et de quelle histoire veut-il faire la promotion ? « Il n’y a qu’une histoire », rétorquait Vianney d’Alençon à cette question lors de la présentation de son projet en juin 2020. Le châtelain ne s’intéresse pas à l’histoire du bouillonnement politique de la Provence, qui a pourtant eu d’illustres figures républicaines engagées dans le mouvement du Félibrige pour la sauvegarde et la promotion de la langue et de la culture provençale. Le poète, magistrat et notaire Félix Gras fut par exemple dans la deuxième moitié du 19e siècle l’auteur d’un ouvrage retraçant la diffusion des idées républicaines et anticléricales dans le sud de la France, Li Rouge dóu Miejour (Les Rouges du Midi).

Les racines culturelles issues du croisement de populations multiples dans cette région du nord de la Méditerranée sont également ignorées. Les félibres eux-mêmes revendiquent une filiation culturelle avec les Sarrasins, passés par la Provence au cours du 8e siècle. Pour le poète Frédéric Mistral lui-même, qui a codifié le costume d’Arlésienne que Rocher Mistral exhibe, cette figure mythique de la féminité est une « brune et pâle Sarrasine » [1].

 Vianney d'Alançon (deuxième homme en partant de la droite) et les maires des communes alentours encadrés de femmes en costume d'Arlésiennes lors de la présentation du projet Rocher Mistral en juin 2020.
Vianney d’Alançon (deuxième homme en partant de la droite) et les maires des communes alentours encadrés de femmes en costume d’Arlésiennes lors de la présentation du projet Rocher Mistral en juin 2020.
©Pierre Isnard-Dupuy

« Rocher Mistral concentre l’essentiel de ses spectacles sur la période prérévolutionnaire pour magnifier une Provence blanche, catholique et aristocratique », considèrent les historiens de l’université d’Aix-Marseille Jean-Marie Guillon et Xavier Daumalin dans une tribune publiée dans L’Obs. « Selon le Rocher Mistral, les moines ont apporté l’écriture et les mathématiques aux paysans provençaux, la noblesse est héroïque et le peuple braillard et violent », ajoutent les universitaires en réponse à un texte de Vianney d’Alançon.

En septembre 2022, l’initiateur du parc appelait dans le JDD à résister aux « sirènes de la déconstruction, de la censure et de toutes les idéologies qui veulent rompre le lien entre les générations et cherchent à faire table rase du passé ». Il poursuivait : « Qui se soucie de l’“impensé social de l’époque” quand il visite une bastide ou les tenants et aboutissants de “la lutte des classes” quand il assiste à une pièce de Molière ? » Fort de son constat, Vianney d’Alançon exhorte à « continuer la France », en défendant « une culture nationale, foisonnante, riche, vivante ». Régulièrement, Vianney d’Alançon a tribune ouverte dans la presse conservatrice comme Le Figaro ou Valeurs actuelles.

« L’association du “militantisme” et de la “recherche” est significative, les deux renvoyant à “déconstruction”, c’est-à-dire à la dissolution d’une France éternelle, a-historique, ce qui est aussi l’un des fondements de l’idéologie nationaliste », analysent les deux universitaires d’Aix. L’œuvre de Vianney d’Alançon est « une offensive très claire contre l’histoire en tant que discipline universitaire pourvoyeuse d’une connaissance nuancée, plurielle, à la suite d’un long et rigoureux protocole de recherche », juge le professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Aix-Marseille Xavier Daumalin, joint par basta!.

Lui n’a jamais été invité au Rocher Mistral, au contraire de médiatiques et polémiques commentateurs qui viennent y donner des conférences : Lorànt Deutsch et Franck Ferrand sont venus en 2022, Michel Onfray et Franz-Olivier Giesbert sont annoncés en 2023... Mais toujours pas d’historiens.

Pierre Isnard-Dupuy

Photo de une : Le château de la Barben/©Pierre Isnard-Dupuy

Notes

[1Citation du poème de Frédéric Mistral intitulé « Nerto » de 1884, mentionnée dans l’article de l’historienne Karine-Larissa Basset : « La “Provence sarrasine”, une altérité originelle face à l’Histoire (XIXe-XXe siècles) », Le Monde alpin et rhodanien, revue régionale d’ethnologie, 2001.