Six saisonniers – quatre en Champagne et deux en Beaujolais – sont décédés en septembre, lors des quinze premiers jours de vendanges dans l’Est de la France. Âgés de 19 à 60 ans, il ont tous été victimes d’arrêts cardiaques dans le contexte d’une canicule sans précédent, qui semble en avoir été le facteur principal.
Ce drame n’est malheureusement pas le premier, et ne sera pas le dernier vu les conditions de vie au travail et hors-travail des saisonnierdes ouvriers souffrent et meurent dans l’indifférence ou l’invisibilisation générale.
ères agricoles. Chaque année,Pourtant ces travailleurs méritent comme tout un chacun de travailler dans des conditions dignes et en sécurité. Ils sont indispensables au fonctionnement de l’agriculture et à ses rendements qui lui procurent la place de deuxième secteur excédentaire français.
Comment dans un secteur comme la viticulture peut-on faire face à un constat si macabre ? Combien de temps faudra-t-il pour que les institutions protègent celles et ceux qui font vivre l’agriculture française ? La vie des saisonniers mérite d’être préservée !
Des dérogations contraires au Code rural
Face à la situation et à la réponse du Syndicat général de vignerons (SGV) [1] relayée par les médias, nous prenons la parole, pour témoigner et alerter des dangers qui menacent la vie des saisonnier es au travail. Si les saisonnier es avaient autant d’influence sur l’organisation des vendanges que le suggère le SGV, ils et elles auraient probablement déjà obtenu de meilleures conditions de vie, de logement, de travail et de rémunération.
En réalité, la précarité des saisonniers liée à leurs statuts (contrats temporaires, travailleurs détachés), à leurs conditions d’hébergement (hébergement en plein air et non sécurisé, sans logement fixe, logement éloigné du lieu de résidence habituel, logement dépendant de l’employeur) et de vie (barrière de la langue, difficulté d’accéder au système médical et juridique français, etc.) ne permet pas de revendiquer quoi que ce soit sans risquer gros (une mise à pied, un licenciement, une perte de logement).
Le milieu agricole dispose de flexibilités pour garantir la productivité et limiter les pertes, par exemple en augmentant le temps de travail hebdomadaire autorisé dans le Code du travail (de 48 heures à 60 heures par semaine, voir 72 heures en Champagne), journées de travail supérieures à 10 heures, augmentation du nombre de jours de travail successifs et réduction du temps de repos.
Dans certaines régions, les employeurs agricoles vont jusqu’à obtenir des dérogations pour louer ou fournir des logements ne répondant pas aux normes du Code rural (dortoir pour 10 personnes, logement sans eau, camping sans ombre, etc.). Parfois encore, les accès aux terrains communaux sont interdits, ce qui entraîne le développement de campements de fortune qui mettent les saisonnier es en situation de risques.
Les risques liés à la chaleur ne peuvent plus être ignorés
De l’autre côté, pour les saisonniers, aucune dérogation ou mesure protectrice (arrêté préfectoral par exemple) n’impose un arrêt du travail pendant les heures les plus chaudes. Une mesure protectrice globale viendrait protéger la santé, le travail et l’emploi, sans entraîner de risque de pénalités économiques ou de licenciement pour les travailleurs les plus précaires. Cela demanderait que les institutions soient dotées des moyens nécessaires pour protéger le travail et la vie des saisonnier
es.La prévention et l’information dirigée aux saisonnier
es n’arrive pas toujours jusqu’aux personnes concernées. Les messages d’alerte et de prévention aux exploitants sont également insuffisants. Les informations ci-dessous devraient pouvoir être connues de toutes et tous. Les risques physiologiques liés à la chaleur qui sont connus ne peuvent plus être ignorés.Il existe d’abord un risque de décès plusieurs jours après l’exposition. En cas de fortes chaleurs ou de canicule et soumis à un effort physique intense, les effets sur le corps à court et long terme peuvent être irrémédiables (l’hyperthermie peut créer des lésions cellulaires) et entraîner des symptômes qui peuvent se manifester jusqu’à 10 jours suivant l’exposition. C’est ce qui est arrivé à l’une des victimes qui, après un malaise au travail, est décédée d’un arrêt cardiaque à son domicile quelques jours plus tard.
L’humidité ambiante est un facteur aggravant. Bien que la température de 34⁰C à l’ombre ne semble pas très élevée, la chaleur sous un climat humide est plus dangereuse que sous un climat sec ; elle oblige le corps à faire un effort supplémentaire pour respirer, et l’humidité ambiante ne permet pas à la sueur de s’évaporer, un processus essentiel pour réguler la température corporelle.
Rien dans le Code du travail
Il faut rester aussi vigilant sur la température qui peut être réellement ressentie, car les températures annoncées par les chaînes météo sont calculées à l’ombre. 34⁰C à l’ombre signifie plus de 40⁰C au soleil, surtout si le sol n’est pas recouvert d’herbe ou de végétation sèche (avec de la terre nue ou, pire encore, du goudron). L’adaptation est différente pour chacun : le corps d’une personne vivant dans une région fraîche est, en général, moins habitué et résistant à la chaleur que celui d’une personne qui habite dans une région plus chaude.
Trois jours à risques doivent être comptés avant l’acclimatation. Or, il faut trois jours de fortes chaleurs consécutives pour lancer une alerte orange canicule, donc des mesures de prévention des risques. Ce sont justement ces jours durant lesquels le corps sera le plus vulnérable, le temps qu’il s’adapte à la chaleur.
Bien que l’Institut national de recherche et de sécurité indique qu’à partir de 28⁰C, il existe des risques liés à la chaleur dans les travaux physiques à l’extérieur, et que 33⁰C dans les serres est considéré comme un risque suffisant, il n’existe toujours pas de procédure similaire visant à protéger la santé des travailleurs agricoles. En effet, le Code du travail ne précise pas la température à partir de laquelle un arrêt de travail peut être exigé dans les travaux agricoles extérieurs.
Pour limiter ces problèmes, la France pourrait, à l’instar de l’Espagne (pays accusant de hautes températures), fixer une limite légale de température pour le travail physique en extérieur. Cette limite a entraîné dans certaines régions un décalage des horaires de travail avant le lever du jour, par exemple dans des provinces comme Valladolid et certains domaines français.
En finir avec les logements indignes
Le travail sous fortes chaleurs n’est pas le seul responsable de la vulnérabilité des saisonnier
es. La préservation de leur santé passe aussi par leurs conditions de logement. Pour permettre au corps de récupérer, il est absolument nécessaire de pouvoir se reposer au sein de logements tempérés.Avec les températures actuelles qu’accuse le monde agricole français, les possibilités d’hébergement destinées aux saisonniercampings nus, parfois dépourvus d’ombre et de services de base tel que l’accès à l’eau. Or, aujourd’hui encore, et dans des régions viticoles prestigieuses, prolifèrent des offres de logement indignes que l’on fait payer à des saisonnier es expulsés de campements de fortune (terrains sans électricité ou sans ombre pour plus de 240 euros par mois).
es ne peuvent plus se limiter à desLes communautés de commune devraient pouvoir être soutenues par l’État pour offrir des conditions dignes à cette main-d’œuvre saisonnière nécessaire à la France. Mais si divers employeurs, même modestes, y parviennent, pourquoi certaines grandes entreprises n’accueillent pas encore dignement les ouvriers ?
Combien faudra-t-il encore de morts ?
Combien faudra-t-il encore de morts ? Au moins six morts suite aux fortes chaleurs en 2023, et six décès provoqués par le froid ces dernières années. El Eco saisonnier a également eu connaissance de plusieurs hospitalisations graves consécutives à des conditions de travail et d’accueil délétères.
De manière générale, les conditions de travail, d’accueil et de rémunération des saisonnier
es doivent et auraient déjà dues être améliorées. Face au changement climatique, il faut impérativement accélérer cette réparation, cela implique aussi des évolutions dans les méthodes de travail et dans le modèle agricole actuel.En attendant que les institutions mettent en place des mesures efficaces pour protéger les ouvriers agricoles en cas de fortes chaleurs, El Eco Saisonnier choisit d’agir avec sa communauté élargie de recherche. C’est ainsi qu’il est entré en relation avec l’Inspection du travail. Ce document retrace les principales procédures et actions envisageables pour faire face à un employeur qui ne prend pas les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés notamment au regard de températures extérieures.
Ces procédures restent fastidieuses à mettre en place en cas d’urgence et nécessitent une fine connaissance du Code du travail, sans vous prémunir complètement d’un licenciement. Elles ne remplacent pas l’efficacité des campagnes de prévention et d’information de la population et des employeurs. Mais, dans tous les cas, et selon le Code du travail, en cas de trop fortes chaleurs, tous les travailleurs doivent pouvoir se mettre à l’ombre, s’hydrater et cesser le travail si nécessaire. Nos vies valent plus que quelques grappes de raisin !
Le Collectif El Eco Saisonnier [2], accompagné de la chercheure-intervenante Fabienne Goutille [3]
El Eco Saisonnier
Photo : @Julie Chansel