Conditions de travail

Pourquoi la pénurie de travailleurs saisonniers s’accentue ?

Conditions de travail

par Sébastien Marrec

Le « manque de bras » dans le secteur touristique est souvent traité dans les médias du seul point de vue des employeurs, pointe dans cette tribune Sébastien Marrec, ancien travailleur saisonnier. Il critique notamment un management souvent agressif.

L’été 2022 devait être l’été du renouveau. L’économie et le tourisme international de masse allaient reprendre de plus belle, comme dans le « monde d’avant ». C’était sans compter les effets de la pénurie de main-d’œuvre et la « grande démission » des saisonniers, qui s’est incarnée par des phénomènes sans précédents en pleine saison : des restaurants fermés deux jours par semaine, des services arrêtés à 14h, des réservations refusées pour des chambres d’hôtel pourtant libres, des aéroports en plein chaos, des fruits arrivés à maturité mais non récoltés dans les vergers...

Portrait de Sébastien Marrec
Sébastien Marrec
Ancien saisonnier

Tous les acteurs impliqués par ces secteurs reconnaissent que le plan du gouvernement pour l’emploi saisonnier, annoncé par les ministres Olivia Grégoire et Olivier Dussopt, arrive bien tard. La partition de 2022 semble donc se jouer à nouveau à l’approche de cet été. Pas un jour ne s’écoule sans que les médias se fassent l’écho des dizaines de milliers de postes restés vacants dans l’hôtellerie-restauration, les boutiques, l’agriculture, l’ostréiculture, la viticulture. Avant 2020, plus d’un million de personnes travaillaient comme saisonniers chaque année, mais ces emplois sont longtemps restés considérés comme secondaires.

La crise, latente, dure depuis des années mais s’est rapidement amplifiée jusqu’aux tensions désastreuses de l’été dernier. Les employeurs en peine de recrutement ont beaucoup évoqué les impacts de la crise sanitaire et du chômage partiel, d’autres se désespèrent d’une France d’hédonistes « sous perfusions d’allocations » « qui ne veut plus travailler »... malgré des hausses de salaires consenties qui seraient non négligeables (à partir de grilles salariales minimales situées en-dessous du Smic, il faut le préciser). Autant de façons de cantonner un phénomène complexe à des raisonnements trop simplistes.

Le mal-logement, une difficulté non résolue

Il faut sérieusement considérer les raisons profondes de l’absence durable des saisonniers. Certaines difficultés sont bien connues, comme les difficultés de déplacements, le mal-logement et le manque d’hébergements. La multiplication des locations saisonnières, fiscalement très avantageuses pour les propriétaires, a accéléré cette raréfaction de l’offre.

Les pouvoirs publics peinent à organiser des systèmes d’hébergement, faute de s’attaquer sérieusement à ce fléau. Depuis le début de l’année, la majorité s’est ainsi opposée à trois reprises à toute idée de réforme de la niche fiscale dont bénéficient les propriétaires des locations de meubles touristiques.

L’État a préféré donner instruction de mobiliser les logements scolaires et étudiants pour du logement saisonnier. En Bretagne par exemple, la commune de Paimpol (Côtes-d’Armor) a procédé à l’inventaire de son patrimoine pour dénicher des logements de fonction vacants et loger les saisonniers, tandis que Lamballe (Côtes-d’Armor) et Dinard (Ille-et-Vilaine) ont mis des internats à leur disposition. Le maire de Grand-Champ (Morbihan) a même lancé, avec le soutien d’un bailleur social, la construction d’un quartier de micromaisons mobiles et démontables sur l’emplacement d’un ancien camping de la commune. Certaines seront dédiées aux saisonniers en haute saison, et accessibles aux jeunes travailleurs le reste de l’année.

Un management souvent agressif

Réputés difficiles ou même ingrats, les métiers saisonniers n’attirent plus. Des générations de saisonniers ont subi des tâches éreintantes, des horaires hachés et décalés, des temps partiels fictifs, des heures supplémentaires non payées et des jours de congés refusés. Ils ont souffert d’un management souvent agressif, peu flexible, aux antipodes de la qualité relationnelle, de la valorisation et de la négociation. Les employeurs se retrouvent rattrapés et dépassés par les évolutions du rapport du travail, comme la recherche d’équilibre entre appartenance à une équipe et autonomie, la préservation du temps personnel, la quête de sens et de recherche de la qualité du cadre de vie.

Ceux qui sont attentifs au bien-être de leurs saisonniers et respectent le Code du travail ont, la plupart du temps, moins de difficultés à constituer leurs équipes. Les autres récolent ce qu’ils ont semé : ils se plaignent de l’absence de « valeur travail » sans pour autant faire d’efforts pour changer leurs pratiques.

Reconversions

Quelques employeurs ont fini par admettre la situation, d’abord à demi-mots puis ensuite plus frontalement, avec Thierry Marx, le nouveau président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, principale organisation patronale française du secteur, comme figure de proue. L’hôtellerie-restauration souffre bien d’un déficit d’image, de formation et donc d’attractivité.

Abondamment critiqué pour ses méthodes d’un autre âge, le secteur s’est pourtant peu remis en question. Le travail en cuisine ou en salle représente un sacerdoce, un engagement presque inconditionnel, notamment dans les établissements hauts de gamme. Violences physiques et verbales, culture de la compétition, du mépris et du sexisme… les dérives sont légion.

La parade consisterait à régulariser les nombreux salariés sans papiers d’une part, et à se tourner vers les travailleurs de l’est de l’Europe ou du Maghreb d’autre part (des Tunisiens pour l’hôtellerie-restauration). Ce dernier recours, loin d’avoir fait ses preuves, ne résoudra pas de toute façon le problème fondamental de l’attractivité.

Les difficultés de recrutement s’accentueront tant que des pratiques inacceptables séviront. Ce n’est pas la volonté de travailler qui est en cause, mais plutôt de travailler quoi qu’il en coûte. Après des mois d’inactivité touristique en 2020 et 2021, beaucoup de saisonniers se sont rendu compte qu’il était possible d’obtenir un salaire similaire avec de bien meilleures conditions de travail dans d’autres secteurs. Ils se sont reconvertis.

La réforme de l’assurance chômage pénalise les saisonniers

Pour les emplois où les contrats courts sont la norme, un changement majeur, passé plus inaperçu, aggrave encore les désillusions des saisonniers. Depuis fin 2021, il faut désormais avoir travaillé six mois au lieu de quatre pour ouvrir des droits au chômage, une sécurité indispensable dans des régions où il y a peu d’activités de substitution l’hiver ou l’été.

Le changement de calcul du salaire journalier de référence et donc des indemnisations, défendu par le gouvernement Castex dans l’optique de favoriser l’embauche de longue durée (déjà sans concertation avec les syndicats de salariés à l’époque), pénalise aussi sévèrement les saisonniers.

Si ceux-ci parviennent tout de même à travailler six mois de suite, le montant de leur allocations chômage a diminué, puisque les jours non travaillés sont désormais comptabilisés dans la « période de référence » prise en compte. Rien d’étonnant, dès lors, que de moins en moins de personnes se tournent vers ce qui s’apparente à davantage de précarisation.

Certes, avec le plan annoncé, des saisonniers d’une quinzaine de bassins d’emploi seront incités à suivre des formations portant sur les métiers en tension afin de les professionnaliser et de les fidéliser. Les syndicats et même certains représentants des secteurs employant beaucoup de saisonniers plaident, eux, pour un véritable statut professionnel. Et si l’été 2022 n’avait été qu’un avant-goût de la désaffection d’emplois nécessaires à des pans considérables de l’économie française ?

Sébastien Marrec, ancien saisonnier