Le procès du commissaire Rabah Souchi, qui a ordonné la charge policière ayant gravement blessé Geneviève Legay, le 23 mars 2019 à Nice, lors d’une manifestation de Gilets jaunes, se tient le 11 janvier prochain - initialement prévu en octobre, il a été reporté à cette date. Les avocats de Geneviève Legay ont obtenu le dépaysement de l’affaire à Lyon. Le commissaire Souchi sera jugé pour « complicité par ordre de violence par personne dépositaire de l’autorité publique » ayant « entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours ».
Le procureur de Lyon considère que la charge ordonnée par le commissaire Souchi « n’était ni proportionnée ni nécessaire à la situation en cause ». « Ce sera un procès historique, car c’est la première fois depuis 70 ans qu’un donneur d’ordre devra rendre des comptes devant la justice » souligne l’organisation altermondialiste Attac France. « Ce n’est pas le policier ayant reconnu avoir frappé Geneviève qui devra rendre des comptes à la justice, mais bien Rabah Souchi. »
Rappel des faits
Nice, place Garibaldi, le samedi 23 mars 2019. À la veille de l’accueil de Xi Jinping par Emmanuel Macron, et en plein mouvement social des Gilets jaunes, une foule clairsemée se rassemble, malgré l’interdiction de manifester prise la veille par la préfecture, arrêté qui est annulé par la justice le lendemain [1]. « On est là pour dire qu’on a le droit de manifester », déclare face aux caméras Geneviève Legay, alors âgée de 73 ans, Gilet jaune et porte-parole de Attac Alpes-Maritimes.
Face à la foule chantant « Liberté de manifester », le commissaire divisionnaire Rabah Souchi est décidé à faire respecter l’interdiction. Dès 11 h, les premières arrestations commencent. À 11 h 40, lors d’une charge, Geneviève Legay tombe au sol. Avec cinq fractures et un traumatisme crânien très grave, la militante demeure 48 heures avec son pronostic vital engagé. Elle restera plusieurs mois à l’hôpital.
Mensonges au plus haut sommet de l’État
Dès le lendemain, le 24 mars, Christian Estrosi, maire de Nice, déclare : « C’est regrettable, je sais que ce n’est pas dans un heurt avec la police, elle a trébuché ». Le 25 mars, le chef du parquet de Nice organise une conférence de presse durant laquelle il affirme qu’aucun policier n’est entré en contact avec Geneviève Legay. Il sera révélé que ce même procureur a assisté à la scène depuis le centre de supervision urbain et donc sciemment menti pour, dira-t-il, « couvrir » le président de la République.
Lors de sa venue à Nice, Emmanuel Macron affirme que « cette dame n’a pas été en contact avec les forces de l’ordre ». Il tient également ces propos : « Quand on est fragile, qu’on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci », tout en souhaitant à Geneviève « un prompt rétablissement, et peut-être une forme de sagesse ».
Conflits d’intérêts
« Alors que Geneviève reprenait à peine ses esprits, des policiers ont cherché à influencer son témoignage », rappelle Attac France. « Elle a été interrogée sur son lit d’hôpital pour qu’elle reconnaisse avoir été poussée... par un cameraman. » Le 8 avril 2019, la journaliste Pascale Pascariello révèle dans Mediapart que l’enquête sur cette affaire a été confiée à Hélène Pedoya, qui n’est autre que la compagne de Rabah Souchi. Cette dernière était aussi présente ce jour-là pour assurer le « maintien de l’ordre ». Alerté sur ce point, le procureur général de Nice, Jean-Michel Prêtre, assure « ne pas voir en quoi cela pose problème ».
Le 16 juin 2019, Christophe Castaner, alors ministre de l’intérieur, décore des policiers de la médaille de la sécurité intérieure, pour leur « engagement exceptionnel dans le cadre des “Gilets jaunes” ». Parmi ceux-ci figure le commissaire Rabah Souchi.
« Ordres reçus disproportionnés »
Le 24 juin 2019, Mediapart révèle un compte-rendu d’opérations de maintien de l’ordre établi par des gendarmes, qui ont refusé de participer aux opérations le 23 mars à Nice.
Ce compte-rendu rapporte que la charge au cours de laquelle Geneviève Legay a été blessée était « disproportionnée ». Le capitaine commandant l’escadron de gendarmerie a décidé, fait exceptionnel, de désobéir aux ordres du commissaire Souchi et de ne pas engager ses hommes dans une opération impliquant l’usage de la force. Le motif : « Ordres reçus disproportionnés face à la menace (foule calme) ». C’est l’une des pièces qui conduit à ce que ce ne soit pas le policier ayant frappé Geneviève qui soit poursuivi, mais le commissaire Rabah Souchi.
Attac France relève également que des street medic « ont été empêchés d’intervenir par le commissaire Souchi, alors qu’ils tentaient de porter les premiers secours à Geneviève ». Dix de ces secouristes ont été interpellés, menottés et placés en garde à vue pendant 10 heures.
Alors que Geneviève Legay garde encore aujourd’hui de graves séquelles consécutives à cette charge policière, Attac France organise un événement militant à Lyon le 11 janvier, avec pour mot d’ordre « Justice pour Geneviève Legay ! Justice pour toutes les victimes de violences policières ! ».
– Retrouvez le détail de la mobilisation sur https://france.attac.org/