Police

« Que justice soit faite, c’est tout ce qu’on souhaite » : des proches de victimes de violences policières s’expriment

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par Rédaction

Des mots en quête de vérité, pour réclamer justice, pour pallier la souffrance face aux enquêtes qui s’éternisent – quand elles ont lieu. Des mots dignes et vifs, entre larmes et colère. Les mots des proches des victimes des forces de l’ordre.

Elles habitent dans des quartiers ou des villages différents. Elles s’appellent Maissan, Fatiha, Marie-Pierre, Aurélie ou Awa. Elles ont un terrible point commun : leur fils, leur frère, leur père ou leur neveu a été tué par la police, dans des circonstances troubles et controversées. Toutes demandent juste une chose, comme le résume Maissan, la tante de Nahel, tué par un tir policier au prétexte d’un « refus d’obtempérer » à Nanterre, le 27 juin 2023 : « Que justice soit faite, c’est tout ce qu’on souhaite », nous dit-elle.

L'intégralité des témoignages de familles de personnes tuées par les forces de l'ordre ou de victimes de brutalités policières est publiée par l'hebdomadaire Politis, auquel {basta!} s'est associé pour contribuer à ce dossier.
Appel
L’intégralité des témoignages de familles de personnes tuées par les forces de l’ordre ou de victimes de brutalités policières est publiée par l’hebdomadaire Politis du 28 septembre, auquel basta! s’est associé pour contribuer à ce dossier.

Trois mois après la mort de Nahel, qui a déclenché une semaine d’émeutes et de révoltes, les questionnements et les débats sur la police demeurent sans réponse : ses missions, la manière de les réaliser et leur utilité (les contrôles d’identité par exemple), les préjugés et le racisme qui la gangrènent, le respect des citoyens et non la suspicion permanente, la formation de plus en plus bâclée des agents.

Maissan, tante de Nahel, mort le 27 juin 2023

Par où commencer ? Aujourd’hui, nous sommes le 27 septembre et cela fait trois mois qu’ils t’ont enlevé la vie lâchement, qu’ils t’ont arraché à ta maman. Trois mois qu’on ne réalise toujours pas que ta petite bouille, ton visage d’ange, on ne le verra plus. Jamais j’aurais pensé rédiger un texte pour toi, mon petit, toi qui étais si jeune, si beau, attachant et serviable. Quand je te voyais, j’avais cette fierté de me dire : « C’est mon sang ! » Tu avais la vie devant toi. Mais on ne te verra jamais te marier, jamais avoir des enfants. Tu avais des rêves, les policiers te les ont enlevés. Je ne leur pardonnerai jamais. Tu n’étais qu’un enfant.

La jeunesse s’est levée le jour où tu es parti. Tout ce monde qui est venu pour toi, qui a prié pour toi, j’en ai des frissons. C’était beau, car t’étais bon, Nahel, tu méritais le meilleur. Perdre la vie pour un défaut de permis à 17 ans, c’est révoltant ! Personne ne mérite une telle injustice. Comment peut-on en arriver là ? Il faut que ça cesse ! J’ai peur pour mes frères et mes enfants. Je ne suis plus sereine vis-à-vis de la police. Aujourd’hui me faire contrôler serait une épreuve…
Que justice soit faite, c’est tout ce qu’on souhaite. Que les policiers paient pour avoir enlevé la vie à un enfant, pour avoir laissé sa mère seule. Je ne t’oublierai jamais et je ne lâcherai rien. J’irai jusqu’au bout. Pour toi, pour nous !

Fatiha Boumenjel, mère d’Adam, tué le 19 août 2022

Dans la nuit du 19 août 2022, deux jeunes gens, mon fils Adam, 20 ans, et Raihane, 26 ans, se trouvent dans une voiture (volée), à l’arrêt, sur le parking du Carrefour de Vénissieux. Ils écoutent de la musique, devisent, fument. Débarque un équipage de police qui veut procéder à un contrôle. Selon la police, le conducteur aurait, pour y échapper, fait une marche arrière puis foncé sur un policier. Ce dernier, couché sur le capot de la voiture en mouvement, aurait sauvé sa vie en tuant le passager, Adam, puis le conducteur.

Adam, mon enfant unique, touché au flanc gauche, agonise des suites d’un pneumothorax. Le conducteur baisse la tête et se protège derrière son avant-bras qu’une balle transperce pour se ficher en haut du crâne. L’expertise balistique contredit les déclarations des policiers. Aucune vidéo exploitable des faits, qui se déroulent pourtant sur un parking surveillé et éclairé même de nuit, n’aurait été retrouvée. Cette scène inconcevable donne lieu à une enquête de l’IGPN honteusement bâclée ; le mis en cause est cité par la juge comme « témoin assisté ». L’instruction est en cours, nous userons de toutes nos forces pour faire advenir la vérité.

Ces enfants qui tombent comme des mouches font partie intégrante de la société française. Mais ils ont en commun ce qui dans une société civilisée ne devrait jamais paraître essentiel : ils sont Noirs et Arabes. Et c’est pour cela qu’on les a tués.

Ouvrir les yeux et avoir le courage, que la gauche n’a jamais eu, de mettre fin à l’impunité liée à des crimes commis sur certains de nos enfants : y imprimer sa détermination, sa fermeté, serait l’honneur d’un gouvernement, quel qu’il soit.

Émilie, belle-sœur de Yanis, mort le 3 juin 2021

Yanis est décédé le 3 juin 2021 à l’âge de 20 ans après avoir été pourchassé par un véhicule de la BAC à Saint-Denis.

Le 14 avril 2021, il rentrait à la maison après avoir passé la soirée avec ses amis. Il circulait en scooter. Au bout de notre rue, un véhicule de la BAC l’a pris en chasse au motif qu’il aurait grillé un feu rouge et refusé d’obtempérer. Il a été percuté de plein fouet sur l’autoroute à quelques mètres de chez nous. Après 49 jours de coma, Yanis nous a quittés. Deux jours après son décès, lors de la veillée funéraire, nous avons été violentés par une horde de policiers venus en découdre. Nous avons immédiatement porté plainte auprès du procureur. Mais il nous a fallu deux ans et un changement d’avocat pour que notre dossier soit enfin instruit. Nous venons seulement d’avoir accès à l’enquête préliminaire. Pour les violences essuyées par nos proches le 4 juin 2021, une vingtaine de plaintes avaient été déposées auprès de l’IGPN. Toutes ont été classées sans suite.

Nous constatons qu’en plus des violences policières que nous avons subies, qui ont arraché un fils et fait souffrir tout un quartier, nous avons à subir la violence d’une justice partiale, qui couvre ces actes impardonnables.

Ce n’est pas seulement notre combat : nous avons lancé une association pour Yanis et un collectif pour aider les Dionysiens qui sont confrontés à ces violences. Nous dénonçons le racisme de la police dans nos quartiers où le contrôle au faciès et le harcèlement policier restent monnaie courante.

Nous disons stop à l’impunité d’agents assermentés ayant commis un crime ! Nous voulons la vérité et la justice pour comprendre et permettre le deuil. Nous voulons un organe indépendant pour juger les violences commises par ces agents assermentés et de vraies sanctions.

Fatia, fille de Claude Jean-Pierre, mort le 3 décembre 2020, et son compagnon, Christophe

Le 21 novembre 2020, en Guadeloupe, lors d’un banal contrôle routier, Claude Jean-Pierre, 67 ans, est extirpé de son véhicule par deux gendarmes avec une telle violence qu’il en ressortira inerte et succombera à ses blessures, le 3 décembre. Deux vertèbres brisées, une compression de la moelle épinière et un état de tétraplégie.

Les gendarmes diront que Claude a fait un malaise, les images de vidéosurveillance de la ville viendront démentir leur version. Des examens médicaux et des rapports d’expertise viendront corroborer que le choc subi lors de l’extraction et les blessures constatées sont responsables du décès.
Depuis décembre 2020, nous n’avons eu de cesse de mobiliser, sensibiliser autour de ce drame terrible. Début 2023, le procureur de la République requiert un non-lieu ! Grâce à une grande mobilisation, ces réquisitions n’ont pas été suivies par la juge d’instruction.

Depuis trois ans nous réclamons justice, nos vies sont entre parenthèses et nous luttons pour ne pas être broyés par la machine judiciaire. Les deux gendarmes sont toujours en fonction, et l’un d’entre eux a même été promu en avril 2023.
Le traitement ignoble et inhumain qu’a subi « Klodo » ce jour-là est significatif. Ce crime, comme le massacre de mai 1967, fait surgir la politique coloniale menée en Guadeloupe, avec comme mot d’ordre la répression face à la misère sociale de nos territoires, la distance de la métropole favorisant l’oubli aussi bien médiatique que politique. Nous exigeons un traitement équitable le respect de notre histoire, de notre humanité !

Marie-Pierre Laronze, sœur de Jérôme Laronze, mort le 11 mai 2017

Le 11 mai 2017, Jérôme Laronze, éleveur bio, subit un énième contrôle vétérinaire sur sa ferme, en présence des gendarmes. Alors qu’il n’avait montré aucune violence, son hospitalisation sous contrainte est décidée. Jérôme s’enfuit pour échapper à la camisole chimique. Neuf jours durant, l’État le traque. Le 20 mai 2017, il est tué par un gendarme. Six balles sont tirées en sept secondes. Jérôme décède dans l’heure qui suit. Le gendarme, mis en examen, plaide la légitime défense. Une information judiciaire est ouverte.

Six ans après les faits, l’instruction est encore en cours. Le gendarme invoque « l’effet tunnel » – une forme de brouillard traumatique. L’effacement des preuves par négligence ou par le temps facilite la construction du non-lieu, qui s’abat sur les proches, comme une violence supplémentaire. Ce dossier rejoindra-t-il la longue liste des affaires similaires qui se sont soldées par un non-lieu ? Refuser de reconnaître l’existence de responsabilités pénales et maintenir en fonction des agents qui déshonorent tout un corps, c’est affaiblir la démocratie.

Pourtant, lorsque la justice examine cette affaire à distance des pressions corporatistes, la vérité surgit. Le 28 février 2020, le tribunal administratif de Dijon a jugé que les contrôles vétérinaires effectués chez Jérôme, en présence des gendarmes, en 2015 et 2016, étaient irréguliers. C’est une première victoire et c’est cette décision qui devrait guider les juges d’instruction dans leur recherche de la vérité.

Marie Boucou, mère de Curtis, mort le 5 mai 2017

5 mai 2017. Curtis gonfle les pneus du quad à la station-service. Sa sœur, Léanna, et son copain sont là aussi. Un agent les contrôle. Quand Curtis part, il est suivi par la BAC. Peu après, Léanna entend « individu intercepté ». Elle m’appelle pour que je les rejoigne. Quand j’arrive, Curtis est au sol. Son sang coule dans le caniveau. Il a été projeté sur un bus. Il est hélitreuillé à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Quand son père et moi arrivons à l’hôpital, trois agents de la BAC sont là aussi. L’attente est interminable jusqu’à ce qu’un chirurgien nous emmène lui dire adieu.

La solidarité est activée pour l’enfant du quartier et je reçois des soutiens moraux et financiers. C’est avec cet argent que je paye les funérailles et l’avocat. La page Facebook « veritepourcurtis » est créée, un média indépendant fait un travail remarquable d’information et un photographe immortalise les moments de partage que la famille organise pour remercier toutes les personnes qui nous soutiennent.

Le recrutement des agents est à revoir. Ils ne devraient pas pouvoir profiter de leur statut pour casser du « Black et de l’Arabe », comme je l’ai entendu dans une émission. Et toute une partie de la population ne devrait pas craindre d’être tabassée par ceux-là mêmes censés les protéger. Quel crime mon fils a-t-il commis ce jour-là ? Curtis était un jeune citoyen apprécié par toutes les générations du quartier. Depuis six ans, nous n’avons toujours pas obtenu la vérité, et les drames de même genre se répètent. La BAC ne doit plus procéder à de telles courses-poursuites.

Aurélie Garand, sœur d’Angelo Garand, tué le 30 mars 2017

Je fais partie de la communauté des Gens du voyage. Fin septembre 2016, mon frère, Angelo Garand, qui est en prison pour vol, obtient une permission de sortie d’une journée. Il décide de ne pas y retourner. Pendant six mois, il vit dans sa voiture. Le 30 mars 2017, alors qu’il partage le repas de midi en famille sur notre terrain du côté de Blois, il est abattu par une brigade du GIGN.

Deux tireurs sont mis en examen pour « violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Ils prétendent que mon frère les aurait attaqués avec son couteau. En octobre 2018, la juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, confirmé par la cour d’appel. En juin 2020, la Cour de cassation rejette notre pourvoi. Fini pour la justice : les tueurs n’auront jamais à rendre de comptes. Notre famille dépose une requête devant la CEDH pour « violation du droit à la vie ». On sait bien que l’État français a déjà été condamné par la CEDH sans que jamais rien ne change. Mais ce serait juste pour qu’un tribunal dise enfin : Angelo Garand aurait dû vivre, l’État est coupable.

C’est pour Angelo que la justice a appliqué pour la première fois l’article L 435-1 du code de la sécurité intérieure, qui élargit le cadre de la légitime défense. Ce non-lieu fait jurisprudence. Ça veut dire que son exécution, légalisée, permet d’en justifier d’autres. Ce L 435, ce n’est rien d’autre qu’un permis de tuer.

On sait que l’État ne sera jamais de notre côté à nous, les communautés discriminées. Alors on doit continuer à se battre. Pas seulement pour Angelo, mais pour ceux qui sont encore en vie. Parce que ça ne peut pas continuer comme ça. Ils tuent les nôtres pour faire peur à tous les autres. C’est du terrorisme d’État.

Awa Gueye, sœur de Babacar Gueye, mort le 3 décembre 2015

Babacar Gueye était mon frère. Il a fait un long trajet depuis le Sénégal pour venir vivre avec moi à l’âge de 27 ans. À son arrivée en France, mon frère était sans papiers. Installé avec moi à Rennes, il a vite pris ses marques. Il jouait au football dans le club Cercle Paul-Bert, prenait des cours de peinture et enseignait la danse au centre social où il apprenait le français. La nuit du 3 décembre 2015, il était chez un ami. Il a fait une crise d’angoisse et s’est mutilé avec un couteau de table. Son ami a appelé les pompiers pour avoir de l’aide mais ce sont huit policiers de la BAC qui sont arrivés.

Babacar ne faisait de mal à personne d’autre qu’à lui-même. Comment se fait-il que huit policiers formés ne puissent maîtriser un homme seul et en détresse ? Comment Babacar, après avoir reçu un premier tir létal lui ayant perforé le poumon, pouvait-il représenter un danger si immédiat qu’il fallait lui tirer encore quatre balles dans le corps ? Pourquoi les tirs sont-ils tous en trajectoire descendante alors que le tireur affirme avoir été en face de Babacar ? Pourquoi la fesse de Babacar a-t-elle été perforée alors que le tireur prétend lui avoir toujours fait face ? Pourquoi les preuves matérielles ayant servi à tuer Babacar ont-elles été immédiatement détruites ?

Je ne sais ni lire ni écrire le français. Mais c’est bien moi qui ai mené l’enquête avec mes deux avocats. Les autres familles et les victimes mutilées me donnent la force de continuer mon combat. Je ne veux pas que le nom de mon frère tombe dans l’oubli.

Jessica Koumé, épouse d’Amadou Koumé, mort le 6 mars 2015

Amadou Koumé est mort le 6 mars 2015 d’un œdème pulmonaire survenu dans un contexte d’asphyxie et de traumatisme cervical. Il a été victime d’une clé d’étranglement et d’un plaquage ventral alors qu’il se trouvait en état de détresse psychologique. À partir de ce moment, le combat commence pour nous. Malgré une autopsie et une vidéo accablante, le parquet et l’IPGN classent l’affaire sans suite… Mais l’autopsie et la vidéo sont claires : Amadou a été sauvagement étranglé, maintenu au sol et menotté sur le ventre pendant plus de six minutes. Nous avons saisi le doyen pour demander l’ouverture d’une instruction avec constitution de partie civile. Une fois l’instruction ouverte, nous avons obtenu les mises en examen pour violence volontaire ayant entraîné la mort qui seront requalifiées en homicide involontaire en fin d’instruction.

Un procès a eu lieu en juin 2022. Les policiers ont été reconnus coupables, mais condamnés à une peine symbolique de 17 mois de sursis. Amadou avait besoin d’aide. Il a trouvé la mort ! La reconnaissance de culpabilité nous a apaisés. Car conscients que, dans ce type d’affaires, les victimes sont criminalisées et rendues coupables de leur propre mort, il est rare d’obtenir un jugement. L’impunité policière et le silence coupable que cultive le gouvernement français depuis des décennies au sujet de ce type d’affaires allument la mèche et nourrissent la colère. Mais l’État fait semblant de ne pas comprendre. Avant de fustiger ce qui se passe aux États-Unis, occupez-vous de vos George Floyd ! En France aussi, le vase déborde.

Chloé Fraisse, sœur de Rémi, mort le 26 octobre 2014
 
Le 26 octobre 2014, dans un pavillon près de Toulouse, on nous a annoncé la mort de mon frère, Rémi Fraisse. Lors d’un rassemblement d’opposition à un barrage, les forces de l’ordre protégeaient de la terre battue avec des armes de guerre. Un engin explosif a littéralement désintégré sa colonne vertébrale. Les rapports ont montré que, dans l’heure qui a suivi la mort de mon frère, les gendarmes savaient déjà précisément comment il avait été tué. Dès le départ la stratégie du gouvernement et de la préfecture a été de semer le doute.

Dès le départ, ils ont usé d’amalgames odieux pour présenter Rémi comme un coupable. Dès le départ, ils ont œuvré à justifier la position de juge et bourreau d’un gendarme. La plupart des informations données les premiers jours par les responsables politiques sur Rémi et sur ce qu’il s’est passé cette nuit-là sont fausses.

Pourtant, elles ont façonné la mémoire collective. Ce que nous avons vécu, d’autres familles le vivent trop régulièrement. Nous avons connu une forte pression médiatique en plus du deuil, pour ensuite nous retrouver pendant des années face à une justice qui n’est là que pour protéger l’image de l’État français. Chaque mensonge qui a été dit sur lui continue aujourd’hui de créer la haine et la division. J’ai du mal à parler de mon frère en dehors du cercle de mes proches, par crainte d’entendre en retour des propos grossiers et blessants. En plus d’avoir anéanti sa vie et amoché les nôtres, l’État français a sali sa mémoire à jamais.

Farid El Yamni, frère de Wissam, mort le 1er janvier 2012

Il s’agit de la plus vieille histoire de violences policières toujours officiellement « en instruction ». « En instruction » avec des guillemets car, en réalité, il n’y a pas d’action, mais une totale passivité de la justice. Wissam El Yamni n’est pas mort il y a onze ans, Wissam a été tué il y a onze ans. Mon frère est arrêté le 1er janvier 2012. Il est menotté dans le dos pour avoir jeté une pierre. Amené au commissariat, il sortira une dizaine de minutes plus tard, les deux pieds devant, avec de multiples fractures, des traces de strangulation, le pantalon au niveau des chevilles et sans sa ceinture, qui disparaîtra des scellés.

La justice a cherché à imposer plusieurs versions via des pseudo-experts. Après avoir baladé notre famille pendant des années, elle a finalement reconnu que Wissam était mort par l’intervention d’un tiers. D’où le terme « tué ». Elle veut mettre désormais le crime sur le compte d’une mauvaise technique d’intervention. Elle prévoit prochainement une reconstitution des faits sans la présence de trois témoins clés. La famille ne comprend pas pourquoi elle arrive à se donner les moyens d’entendre ces témoins, tandis que les magistrats, supposés avoir des moyens illimités, se trouvent des excuses procédurales pour ne pas les entendre.

De la même manière que dévisser, c’est le contraire de visser, demander c’est le contraire de mander – du latin mandare, qui signifie « faire venir ». Quand on demande justice, la justice procrastine, on fait en sorte qu’elle n’advienne pas. On ne demande rien à son bourreau. Seul l’État doit comprendre qu’il a un intérêt à changer. L’histoire est ainsi faite.

Recueillis par Hugo Boursier, Pierre Jequier-Zalc, Ludovic Simbille, Maxime Sirvins

Photo : Pedro Brito Da Fonseca