Basta! : La COP30 s’est ouverte le 10 novembre pour se terminer ce vendredi 21 novembre. Qu’attendez-vous de cette conférence des parties sur le climat ?
Rukiya Khamis : Cette COP porte des enjeux cruciaux pour nous tous, alors que l’accord de Paris va bientôt fêter ses dix ans. À 350, nous espérons que cette COP fournira une feuille de route claire pour l’élimination complète des combustibles fossiles et le triplement de l’accès aux énergies renouvelables partout. Et il faut veiller à ce que les pays riches remboursent leur dette climatique envers les pays plus pauvres, pour que nous puissions financer une transition énergétique juste, sur le continent africain et ailleurs dans le monde.
Mais, il y a quelques semaines, on apprenait dans la presse que le Brésil envisageait d’explorer des gisements pétroliers en mer, alors même que le pays accueille la COP. On dirait donc que nous avons toujours soif de combustibles fossiles. Alors qu’on sait, qu’en plus d’être nocive pour le climat, l’exploration des combustibles fossiles ne favorise pas la prospérité de la majorité des populations, que ce soit en Amérique du Sud, en Afrique, ou dans le Pacifique.
Si cette COP pouvait vraiment mettre un terme à l’utilisation des énergies fossiles, les éliminer complètement, cela permettrait une transition juste. L’un des aspects centraux de la justice climatique est également de donner la priorité aux besoins et au leadership des communautés autochtones et traditionnelles. Le fait que la COP se déroule à Belém, la porte d’entrée de l’Amazonie, ne devrait pas être qu’un symbole.
Pensez-vous que l’Afrique et ses populations sont suffisamment représentées à cette conférence ?
Malheureusement non. D’une part, le Brésil, c’est loin pour l’Afrique. Mais en même temps, la COP30 ne se limite pas à Belém. Des communautés dans différentes régions du continent africain, comme la Tanzanie, l’Ouganda, le Kenya, l’Afrique du Sud… se mobilisent autour de la COP et des enjeux de la conférence. Elles profitent de ce moment pour faire valoir leurs revendications.
350 Africa a lancé l’an dernier une campagne intitulée REPower Afrika afin d’accélérer la transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables sur le continent. Pourquoi ?
En tant que militants de la justice climatique, la principale revendication que nous portons depuis des années, c’est l’arrêt progressif des énergies fossiles. Mais la question s’est posée de ce que nous demandons en échange ? Quelle alternative proposons-nous aux énergies fossiles ? REPower Afrika est le fruit de cette exigence : réfléchir aux solutions que nous voulons voir mises en œuvre dans nos communautés, et à ce que nous demandons à nos gouvernements pour remplacer les énergies fossiles.
Quand on va voir nos gouvernements à travers l’Afrique et qu’on leur dit « certes, nous disposons de gisements d’énergie fossile, mais il ne faut pas les exploiter », ce discours a potentiellement plus d’effets si on ajoute « il existe d’autres modèles énergétiques plus rentables pour nos communautés et plus sûrs pour notre planète ».
C’est de ce besoin qu’est née REPower Afrika, dans le sillage de la campagne contre le projet d’oléoduc EACOP [un projet de Total d’oléoduc qui traverserait la Tanzanie et l’Ouganda, ndlr]. REPower Afrika est devenue une lueur d’espoir pour les communautés de Tanzanie et d’Ouganda touchées par ce projet, et aussi pour d’autres pays où s’opposer à de grands projets de ce type peut être risqué.
En s’engageant pour les énergies renouvelables, ils peuvent aborder de manière stratégique la question de l’élimination progressive des combustibles fossiles via un discours positif. Au lieu de dire au gouvernement « je ne veux pas de cet oléoduc », on demande à donner la priorité à l’investissement dans les énergies renouvelables décentralisées pour nos besoins énergétiques. Ça a des chances de mieux marcher.
Où en est le développement des énergies renouvelables en Afrique ?
Il prend différentes formes. Celle d’une immense centrale solaire flottante au Ghana, de grands parcs éoliens au Kenya, d’énergie hydroélectrique en Éthiopie et en Ouganda. Et il existe des tonnes d’exemples de projets d’énergies renouvelables à petite échelle qui fournissent de l’énergie localement aux communautés.
Aujourd’hui, ce que REPower Afrika et les défenseurs de la justice climatique demandent, ce n’est pas que le développement des énergies renouvelables, mais aussi une transition énergétique juste qui ne laisse personne de côté. Or, malheureusement, les projets énergétiques à grande échelle, même renouvelables, ont tendance à être coûteux. Et à la fin, tout le monde n’a pas accès à cette énergie ou à cette électricité dans son foyer. Nous demandons donc des modèles d’énergie renouvelable décentralisée, qui permettent aux populations de gérer elles-mêmes l’accès à l’énergie.
Nous avons vu des modèles de ce type au Kenya, dans des zones rurales, comme à Meru, où une entreprise gère une petite installation hydroélectrique qui fournit de l’électricité à la population locale. Dans le nord du Kenya, à Garissa, des gens ont commencé à installer des panneaux solaires dans les camps de réfugiés.
Des projets d’énergie renouvelable se développent aussi au Rwanda et en Ouganda, par exemple pour les populations qui ont été déplacées en raison de la construction de l’oléoduc EACOP. Sur leurs nouveaux lieux de vie, il ont créé une association des « résidents de la raffinerie de pétrole ». Ils travaillent à mettre en place une énergie solaire décentralisée afin d’avoir accès à l’électricité. Cela ne remplace pas l’action du gouvernement, mais cela montre que c’est possible, et que c’est dans ce type de projet que l’argent doit être investi.
Ces projets que vous mentionnez sont-ils généralement portés et financés par des ONG, des entreprises locales, des entreprises étrangères, des gouvernements ?
Au Ghana, il existe des entreprises locales qui produisent des panneaux solaires ou des installations de cuisson à énergie solaire. Il y a beaucoup d’innovation pour la cuisson à base d’énergie renouvelable sur le continent africain. En Ouganda, une entreprise locale, Nexus Energy, travaille pour équiper le pays en installations photovoltaïques. Mais, bien que les minéraux essentiels qui composent les panneaux solaires soient pour la plupart accessibles sur le continent, très peu sont fabriqués sur place. Il s’agit là d’un manque que nous devons combler.
Voyez-vous un danger dans la possibilité que des entreprises multinationales ou des pays étrangers européens ou la Chine ou les Émirats arabes unis, développent de grands projets d’énergie renouvelable en Afrique principalement dirigés vers l’export d’énergie et pas au profit de la population locale ?
En tant que défenseurs du climat et militants de la transition juste, nous devons être très clairs sur le fait que les énergies renouvelables ne doivent pas reproduire les mêmes injustices que les centrales à charbon ou le pétrole. En Afrique, nous avons subi des marées noires, de la fracturation hydraulique, nous avons vu des communautés souffrir de maladies à cause des centrales à charbon… Nous devons nous assurer que les projets d’énergies renouvelables en Afrique ne soient pas destinés à l’exportation, ne déplacent pas les populations, et répondent aux besoins des communautés locales.

