Cela devait être la COP des peuples autochtones, aux dires du gouvernement brésilien, qui organise la conférence climatique en pleine Amazonie. Numériquement, c’est le cas, avec 3000 personnes autochtones présentes à Belém et 800 accréditées pour assister aux négociations officielles. Mais la possibilité effective qu’elles pèsent dans les décisions reste à démontrer.
Au sein de la « zone bleue » du sommet, celle où tout se joue, les membres autochtones des délégations nationales ne participent pas directement aux négociations. Ils sont regroupés dans un organe créé pour observer les discussions et les commenter. Certains mots d’ordre lancés par les organisations autochtones, comme « La réponse, c’est nous », ou « Pas de décisions sur nous sans nous », affichent clairement leur volonté d’avoir réellement un mot à dire.
Le mécontentement s’est exprimé dès la première semaine du sommet. Mardi 11 novembre, deuxième jour de la COP, une manifestation menée par les peuples du territoire Tapajós, dans l’État brésilien du Pará, a tenté d’occuper la zone de négociation, allant jusqu’au corps à corps avec le service de sécurité. Vendredi 14 novembre, le peuple amazonien Munduruku a bloqué l’accès à la zone, demandant en urgence une réunion avec le président brésilien Lula.
Les organisations autochtones investissent également les autres espaces qui accompagnent le sommet climatique : la Cúpula dos Povos, sommet des peuples, qui a lieu en parallèle de la COP, et l’espace dédié aux ONG et aux entreprises.
Basta! a rencontré plusieurs représentants des peuples d’Amazonie brésilienne pour connaître leurs parcours et leurs combats.
Toya Manchineri, du travail forcé à la protection des terres

Du haut de ses 57 ans, Toya Manchineri est une figure historique des luttes des peuples autochtones au Brésil. Enfant, il a connu l’esclavage moderne sous la dictature brésilienne, lorsque son peuple était forcé à travailler dans l’extraction de latex. Après plus de trente ans de lutte en défense de sa communauté et de la forêt, il est actuellement coordinateur général de la Coordination des organisations autochtones d’Amazonie brésilienne, Coiab.
« Notre territoire est maintenant protégé, nous avons 314 000 hectares et nous ne subissons pas d’invasions ni d’exploitation », souligne-t-il. Il attend de cette COP qu’elle confirme la protection des terres autochtones : « Nous voulons que la démarcation des terres autochtones et notre contrôle effectif sur elles soient inscrits dans le document final de la COP30 comme politiques climatiques. »
Le président Lula a parlé lors de son discours inaugural de l’importance des peuples autochtones. Toya Manchineri reste pourtant sceptique sur l’action de son gouvernement : « Les démarcations des terres ne vont pas assez vite. Il faudrait encore une centaine de millions d’hectares pour garantir le droit de tous les peuples à leurs terres ancestrales. » Actuellement, 114 millions d’hectares, soit un septième de la surface du pays, sont démarqués, c’est-à-dire protégés, au Brésil.
Une proposition de loi en discussion actuellement au Brésil pourrait menacer ce processus. Selon ce texte, seuls les territoires habités par les populations autochtones lors de l’écriture de la constitution brésilienne, en 1988, pourraient être protégés. Or, à cette date, un grand nombre de communautés avaient déjà été déplacées ou éliminées. Depuis, beaucoup revendiquent leurs terres ancestrales par des « reprises de terre ».
La loi dite du marco temporal (« repère temporel ») avait pourtant été jugée inconstitutionnelle après son adoption en 2023, mais le Congrès brésilien, en majorité de droite, voudrait la réintroduire. Et la démarcation seule ne suffit pas, selon Toya Manchineri : « Nous avons aussi besoin de politiques de santé publique, d’éducation et de garanties d’autonomie économique pour permettre aux peuples autochtones de rester sur leurs territoires. »
Hélia, Tainan et Taissa Kumaruara, trois générations de femmes
Là où la Coordination des organisations autochtones tente d’influencer les négociations officielles, d’autres choisissent d’avoir un pied à l’intérieur et un pied hors de la COP30. C’est le cas des Kumaruara, un des peuples du Tapajós, un fleuve de l’État du Pará, dont Belém est la capitale. Les membres de cette communauté ont tenté d’occuper la zone de négociation.
« C’est mon peuple, ils me représentent et j’en serai toujours solidaire », revendique Tainan Kumaruara. Elle dénonce l’utilisation des populations autochtones comme une forme d’ « attraction touristique » de cette COP. « On en est à la trentième COP et rien n’a encore changé. Il faut des résultats maintenant. »
La leader autochtone guide une des « brigades de gardiens Kumaruara », des équipes autogérées de protection contre les feux de forêt dans la région du Tapajós. Sa mère Hélia, cheffe de sa communauté, assure que chez eux, « les hommes sont habitués à être guidés par des femmes ».
La mémoire des violences sexuelles subies par ses ancêtres est encore vive chez Hélia : « Mon arrière-grand-mère a été enlevée par les Portugais pour “se marier”, ils lui ont donné un prénom et un nom étrangers. » Les Kumaruara font aujourd’hui face à l’invasion de leurs terres par des éleveurs, des mineurs illégaux et des trafiquants de bois. Hélia et Tainan espèrent que la jeune Taissa, 13 ans, poursuivra leur lutte.
Bushe Matis et Beto Marubo, pour l’autogestion

Les problèmes liés à l’invasion des territoires autochtones sont bien connus de Beto Marubo et Bushe Matis, membres de l’Union des peuples autochtones de la vallée du Javari, l’Univaja, située dans l’ouest de l’Amazonie brésilienne, près de la frontière avec le Pérou. C’est l’un des plus vastes territoires autochtones du Brésil. C’est là que le chercheur Bruno Pereira et le journaliste Dom Phillips ont été tués en 2022, alors qu’ils travaillaient sur les invasions de la vallée, notamment pour la pêche illégale.
« Notre terre est connue à cause de ces deux meurtres, note Bushe Matis, coordinateur de l’Union des peuples de la vallée du Javari. Mais quand on retrouve des membres de peuples autochtones en morceaux au fond des rivières, on n’en entend pas parler. »
Pour défendre leur territoire et leurs peuples, l’Univaja organise des rondes régulières et surveille toute activité illégale de chasse, pêche, extraction minière, déboisement ou élevage, notamment à l’aide de drones et nouvelles technologies. « Les Blancs aiment bien protéger leurs maisons à l’aide de caméras, de clôtures électriques, pointe Beto Marubo. Mais si ce sont des autochtones qui s’organisent pour défendre leurs territoires, là, ils ne sont pas contents du tout ! »
Les deux leaders dénoncent le fait que les fonds alloués pour la défense de l’environnement n’arrivent pas jusqu’aux communautés qui font le travail sur le terrain, mais atterrissent dans les mains des grands « groupes environnementalistes », souvent inefficaces. « À la COP30, on parle du fonds pour des forêts tropicales éternelles , mais à qui ira cet argent ? demande Bushe Matis. On a déjà le fonds “Amazon” au Brésil, [un mécanisme financier, financé principalement par l’Allemagne et la Norvège, dédié à la lutte contre la déforestation en Amazonie brésilienne, ndlr]. Mais on n’en reçoit pas un centime sur le terrain. Il faut que ces ressources nous arrivent ici pour qu’on puisse financer nos activités et la défense de nos territoires. »
We’e’na Tikuna, l’Amazonie nourricière
L’importance du territoire est évidente pour We’e’na Tikuna. Pour l’artiste, styliste et nutritionniste autochtone de l’État d’Amazonas, le lien est clair entre la terre et la survie physique et culturelle des peuples. « Comment survit-on chez nous ? Avec les supermarchés ? Non, on plante. Pour nous, pour manger, il faut que tu plantes. Ma mère, quand elle vient en ville, elle est désespérée, parce que vous, vous achetez tout. »
L’activiste et influenceuse se bat pour défendre la culture et la nourriture traditionnelles de son peuple, mais se sert de la langue et des codes hérités de la colonisation portugaise pour faire passer son message. Un réflexe qui vient de loin : « Quand j’avais douze ans, mon père m’a dit “il faut que tu apprennes la langue des colons, sinon tu vas mourir”. »
En 1988, sa communauté, les Tikunas, a subi le massacre dit de Capacete. Un commando envoyé par un trafiquant de bois avait ouvert le feu sur les participants d’une assemblée pacifique où la communauté discutait de la protection des terres. « Mon père pensait que, si on parlait bien portugais, on aurait pu demander de l’aide avant », explique We’e’na Tikuna.
La femme espère aujourd’hui que la COP30 servira au moins à mieux faire comprendre l’Amazonie au monde entier. « C’est très important que les personnes ne voient pas l’Amazonie uniquement comme un territoire, mais comme des gens qui résistent et qui ont leur mot à dire. » We’e’na Tikuna est présente dans la zone de négociation en tant qu’observatrice pour plusieurs ONG.
George dos Santos Sousa, face aux ravages de l’exploitation minière
George dos Santos Sousa, la COP30 est le dernier de ses problèmes. C’est pour sa forêt qu’il s’inquiète. L’homme de 61 ans est l’un des leaders de la communauté de Curuperé, dans la ville de Barcarena, voisine de Belém. Sa communauté subit depuis plus de 20 ans les conséquences des projets industriels menés dans la région par plusieurs multinationales européennes.
« Les bassins de stockage des déchets miniers sont ici, à côté de chez moi, déplore-t-il. On n’est jamais consulté pour aucun des projets mis en place, ils ne nous ont pas demandé avant d’utiliser nos terres. » Les bassins de stockage de l’extraction minière de la région ont régulièrement rompu dans les vingt dernières années.
La pollution des cours d’eau rend aussi la vie impossible à ces agriculteurs, qui dépendent maintenant de l’envoi de camions-citernes pour avoir accès à de l’eau potable. « On ne peut même plus se baigner dans le bras de fleuve, alors qu’ici, on aurait tout pour bien vivre », regrette George en nous montrant son agroforêt, où poussent le manioc, le cacao, la noix du brésil, le cupuaçu (un arbre proche du cacaoyer), la pupunha et la bacaba (des espaces de palmier), l’açaï (une baie) et de nombreux autres fruits, légumes et noix.
George ne s’est pas rendu à la COP officielle, mais uniquement au sommet des peuples autochtones, seuls à même de protéger la forêt amazonienne.




