Christian Jouault disait souvent que les pesticides « avaient bousillé sa vie ». Exposé depuis son plus jeune âge, dans la ferme de ses parents, puis tout au long de sa vie professionnel, l’ancien agriculteur a tiré sa révérence jeudi dernier, le 10 avril. « Il nous a quittés vers 15h, à l’âge de 70 ans à l’hôpital où il était depuis trois semaines en soins palliatifs, emporté par sa leucémie », ont rapporté ses amis du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest.
Une vie impactée par les pesticides
Ce collectif, c’était un peu la seconde famille de Christian. La rencontre a lieu en mai 2016, au tout début de la vie de cette association, lors d’un ciné-débat. Christian, qui se bat depuis 2014 contre un cancer de la prostate, prend la parole pour raconter sa vie et ne cessera plus de témoigner.
« Il a pris conscience que sa maladie était liée aux pesticides et c’est devenu une mission pour lui de dénoncer les conséquences de ces produits sur la santé humaine, rapporte Michel Besnard, autre pilier du collectif. Il s’est donné à fond, a rencontré de nombreuses victimes, pris la parole lors de débats, répondu à des interviews, échangé avec des jeunes en formation agricole. Sa force de conviction, il la tirait de sa vie, durement impactée par les pesticides. »
Ces produits mortifères, Christian les a côtoyés dès son enfance, dans la ferme où il a grandi. Il accompagne son père aux champs et sert de « jalon », c’est-à-dire de repère pour les conducteurs de tracteur, leur permettant d’avancer en ligne droite quand ils traitent les cultures. Christian, comme tous les enfants qui ont rempli ce rôle, ne porte aucune protection. Jeune adulte, il devient « aide familial » de ses parents et poursuit l’usage de ces produits. Ceux-ci donnent à son père l’opportunité de devenir un « agriculteur performant », comme tant d’autres, qui ignorent tout évidemment des dangers mortels auxquels ils s’exposent.
« Nous avons fait ensemble de nombreux ciné débats et à chaque fois son charisme, sa détermination pleine de douceur et gentillesse, me donnait la force que ma propre maladie serve à tous, nous aide à rompre l’omerta de nos voisins qui ne voulaient et ne veulent toujours pas voir et s’accrochent désespérément à un système qui s’est emballé », témoigne son ami Gilles Ravard, atteint d’un lymphome dû à son exposition aux pesticides.
Dix années de relative tranquillité
C’est grâce à son épouse, Armelle, que Christian sort de la chimie en 1993, pour se convertir à l’agriculture biologique. Cela fait alors 15 ans qu’ils sont installés ensemble, sur une ferme laitière d’une soixantaine d’hectares. Les vaches sortent de leur étable pour aller paître aux champs, les surfaces de maïs diminuent, le pulvérisateur est rangé pour toujours. « Christian disait souvent qu’il préférait marcher dans ses parcelles pour refaire les clôtures de ses vaches plutôt que d’être sur son tracteur à mettre des pesticides », se souvient Michel Besnard.
Dix années de relative tranquillité s’écoulent avant qu’Armelle soit touchée par un lymphome non hodgkinien, contre lequel elle bataille pendant quatre ans, avant de décéder en 2006. Aujourd’hui, ce cancer est officiellement reconnu comme pouvant être lié à l’exposition aux pesticides. Mais à l’époque, Christian l’ignore.
Quand vient son tour d’être malade, en 2014, il ne fait pas non plus le lien avec son métier. C’est grâce aux informations et au soutien du collectif qu’il fait la demande de reconnaissance de son cancer de la prostate en maladie professionnelle, en 2018.
À ce moment-là, ce cancer n’est pas inscrit dans les tableaux des maladies professionnelles de la Sécurité sociale et de la Mutualité sociale agricole (MSA). Il faut donc entamer de longues et coûteuses démarches administratives, essuyer des refus, faire appel, affronter les tribunaux, écrire, téléphoner…
Le tout en supportant de lourds traitements médicaux : chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie pour Christian, qui doit attendre quatre ans pour obtenir la reconnaissance officielle du caractère professionnel de son cancer. Les premières indemnités lui sont versées en février 2023. Entre temps, le lien entre le cancer de la prostate et les pesticides est officiellement reconnu.
Un second cancer et beaucoup de colère
Quand éclate la crise agricole de l’hiver 2024, et que des demandes émergent sur l’intensification de l’usage des pesticides, Christian manque de perdre son calme : « Ce discours me met hors de moi, comment peut on le tenir alors que tellement d’exploitants agricoles et de riverains sont malades ? Ce n’est pas possible, on ne peut pas continuer comme ça. Les pesticides c’est dangereux. Tout ce qui fait du mal à la nature nous fait forcément du mal. »
Huit mois plus tard, en novembre 2024, un second cancer assaille Christian : une leucémie aiguë myéloïde et lymphoïde. Officiellement reconnue comme liée aux pesticides, elle lui impose de longs séjours à l’hôpital, auxquels succèdent des retours épuisés à la maison.
« Jusqu’au bout il me disait "on ne lâche rien, les pesticides m’ont tué, il faut sauver les générations qui nous suivent". Il n’y a plus rien à prouver, les pesticides sont une véritable crise sanitaire pour les citoyens, il faut changer et très vite », rapporte Gilles Ravard.
Le 22 mars dernier, alors qu’il est déjà hospitalisé en soins palliatifs, Christian prend la parole lors de l’assemblée générale annuelle du collectif de soutien aux victimes des pesticides, par téléphone. Il fait part de son épuisement, et de sa solidarité avec les autres malades. Sa voix encore très déterminée a saisi la salle d’une vive émotion. C’était la dernière prise de parole publique de Christian, dont la voix s’est définitivement éteinte quelques semaines plus tard.
Nolwenn Weiler