« Toutes les difficultés de l’agriculture ne peuvent être résolues par des subventions publiques. » Dans les travées du Sénat, Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, cible la bio. La filière aurait bénéficié de 100 millions d’euros en 2023 et autant en 2024. De quoi « épuiser les finances publiques », assure la ministre.
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Qu’en est-il vraiment ? Un rapport lève le voile sur le montant des aides publiques au secteur agroalimentaire, bio ou non. Ces aides s’élèvent à plus de 48 milliards d’euros en 2021, selon les calculs du Basic (Bureau d’analyse scientifique et d’information citoyenne) ! Le soutien public à la filière bio ne représente que 0,20 % de ce montant total. Pas grand-chose, donc.
Premier enseignement : les exonérations de cotisations sociales et les niches fiscales (21 milliards d’euros) sont presque aussi importantes que les subventions publiques directes. Ces exonérations fiscales et sociales bénéficient principalement à la transformation des aliments (usines agroalimentaires), aux distributeurs (grandes surfaces) et à la restauration. Cela diminue mécaniquement les recettes du budget de l’État et de la Sécurité sociale, et ne contribue pas à soutenir les producteurs.
Les grands groupes de l’agroalimentaire français, eux, le vivent bien. Lactalis a fini par verser 475 millions d’euros au fisc français en décembre 2024, après un signalement du syndicat agricole Confédération paysanne au Parquet national financier concernant des soupçons d’évasion fiscale.
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Responsabilité de l’État
Deuxième enseignement : les faibles niveaux de rémunération des agricultrices et agriculteurs, mais aussi des travailleuses et travailleurs salariés au sein de l’industrie agroalimentaire, de la restauration et de la distribution, entraînent d’autres dépenses publiques. Par exemple, des milliers d’agriculteurs à faibles revenus perçoivent le RSA en complément.
Il existe bien des lois censées garantir aux agricultrices et agriculteurs un prix prenant en compte les coûts de production – les lois dites Egalim, dont la première est adoptée en 2018. Mais ces lois ne sont toujours pas appliquées, car au moment des négociations, des géants comme le groupe industriel Bigard bloquent toute avancée. Résultat : les éleveuses et éleveurs voient le litre de lait payé le même prix qu’il y a quarante ans, ou le kilo de viande payé bien en deçà de ce qui leur permet de vivre dignement.
Troisième enseignement : les aides directes au revenu (6,5 milliards d’euros par an via la politique agricole commune) ne sont pas suffisamment ciblées vers celles et ceux qui en ont vraiment besoin, qui perçoivent moins de 1637 euros mensuels en milieu rural (pour un actif seul et propriétaire) – le seuil d’un niveau de vie décent fixé par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
196 100 chefs d’exploitation bénéficiaires (soit 70 % du total des exploitations considérées) n’atteignent toujours pas ce revenu décent, même avec les aides directes de la PAC. En haut de la pyramide, 34 400 chefs d’exploitation (soit 12 % du total des exploitations considérées) gagnent plus que le revenu décent avant même de toucher ces aides. Rappelons que ces aides sont allouées à l’hectare, contribuant à la course à l’agrandissement.
Quand nos impôts financent la standardisation
Quatrième enseignement : 83 % de l’ensemble des soutiens publics (soit 40,1 milliards d’euros)
sont versés sans aucune condition de participer à un cercle vertueux, en matière de santé publique et de revenus décents. Ils vont par exemple financer des cultures sous pesticides, des aliments ultra-transformés (et mauvais pour la santé) et des entreprises qui rémunèrent mal les producteurs.
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Cinquième enseignement : seulement 6,2 % des soutiens publics bénéficient aux acteurs qui s’engagent pour des produits véritablement de qualité, le plus souvent labellisés (origine contrôlée, labels bio ou équitable).
Sixième enseignement : le coût total des dépenses de prise en charge des impacts négatifs du système alimentaire par la collectivité – soigner des maladies liées à la malbouffe ou dépolluer les contaminations aux pesticides – s’élève a minima à 19 milliards d’euros en 2021. L’État paie donc deux fois, en subventionnant fortement un modèle agricole polluant et maltraitant, puis en payant pour en réparer les conséquences.
Vers un nouveau contrat social ?
Or, une alimentation 100 % biologique permettrait de réduire de moitié les coûts pour l’État engendrés par la gestion et le traitement de l’eau – grâce à l’arrêt des intrants de synthèse – comme le défend l’article scientifique coécrit par le Basic et l’Université de Louvain. Selon cette même étude, l’utilisation de pesticides de synthèse est à l’origine de 51 millions d’euros de dépenses annuelles de santé en raison des maladies associées reconnues comme professionnelles, du type Parkinson.
Si l’on ajoute à ces effets positifs de l’agriculture biologique des exigences sociales issues du commerce équitable ou de certaines AOP concernant la juste rémunération des agriculteurs et des salariés, on peut réduire tout ou partie des coûts d’impacts liés au niveau de vie. Généraliser ce modèle agricole pourrait réduire d’au moins 28 % le montant total des coûts d’impact, soit près de 10 milliards d’euros.
Plutôt que de tirer à boulets rouges sur l’agriculture biologique, il est temps de redéfinir le contrat social de l’alimentation. Et d’inviter la ministre de l’Agriculture à lire le rapport du Basic.