À quoi va ressembler l’agriculture en 2050, quand la moitié sud de la France aura le climat actuel de l’Andalousie, et l’agglomération parisienne, celui de la région de Montpellier ? « À l’horizon 2050, toutes les filières agricoles se retrouvent en situation délicate », alerte l’association Solagro.
La France se réchauffe plus vite que la moyenne globale. Dans le scénario retenu par le gouvernement français, l’Hexagone se prépare à une hausse du thermomètre de 2 °C en 2030, par rapport aux valeurs de l’ère préindustrielle, de +2,7 °C en 2050 et +4 °C en 2100, compte tenu des politiques et stratégies climatiques actuelles mises en œuvre par les différents pays.

Comment se projeter ? « 2022, année la plus chaude jamais observée en France, devient un exemple de ce que pourrait représenter 2050 », estime Serge Zaka, agroclimatologue venu rencontrer des agricultrices et agriculteurs dans la Loire fin mars. L’année 2022 avait été marquée par un gel tardif et une sécheresse exceptionnelle sur les trois quarts du territoire, laquelle s’était poursuivie très tard dans la saison.
« C’est la première fois qu’on atteignait en France des conditions létales pour les bovins, s’ils n’étaient pas à l’abri ou protégés du soleil », souligne Sylvain Doublet, de l’association Solagro. Les herbivores sont en effet très sensibles aux fortes températures mêlées à un fort coefficient d’humidité. De nombreuses fermes avaient aussi manqué de fourrage – l’herbe n’arrivant pas à repousser après les premières fauches.
Les cultures d’été, avec moins 22 % de production de maïs grain par exemple, ont aussi été très impactées en 2022, en raison notamment des restrictions d’irrigation. Les données sont d’ailleurs claires : les rendements moyens français du blé tendre d’hiver et du maïs ne progressent plus depuis les années 1990. Le climat est la cause principale de cet arrêt de la croissance.
Extrêmes climatiques
Se projeter, c’est aussi imaginer des extrêmes climatiques. Les scénarios s’accordent ainsi sur une hausse assez marquée des précipitations extrêmes sur le nord de la France. Si l’on se réfère à l’année 2024, une des années les plus humides jamais observées en France, de nombreux champs de maïs et de tournesol n’ont même pas été récoltés en raison de l’excès d’eau et de l’impossibilité d’entrer sur les parcelles.
Dans les années à venir, cet excès d’eau devrait s’accompagner de plus de sécheresses – n’en déplaise aux climatosceptiques – avec une augmentation de l’intensité des canicules et de leur fréquence. Avec une remontée des températures moyennes par le Sud, ce réchauffement annuel ne s’exprimerait pas de manière homogène sur le territoire – les reliefs se réchauffent davantage par exemple.
Le nombre de jours de gel à zéro degré devrait aussi diminuer. Or, les arbres ont besoin de froid pour fleurir – on parle de « vernalisation » – et donner des fruits. Aucun abricot n’était dans les étals à l’été 2024 en raison du manque de froid les mois précédents.
Dans le livre La France en perspectives : imaginer 2050 (Autrement, 2024), les auteurs projettent « des agrumes et pistachiers dans les zones arides du pourtour méditerranéen, dont le paysage, avec ses oliviers et ses moutons, aura des airs d’Andalousie. Maïs et tournesols, remplacés par le soja ou le sorgho dans le Sud-Ouest, migreront vers les Flandres et les Vosges. La vigne se développera largement au nord de la Loire et les grandes régions de production devront changer leurs cépages. » Des filières historiquement exportatrices, comme le lait et les céréales, pourraient se tarir.
« Il n’y a pas d’adaptation possible à +4 °C »
Dans les champs, avec ou sans financement, beaucoup d’exploitants agricoles ont déjà commencé à s’adapter. Certains ajustent leurs variétés, plus résistantes à la chaleur et au manque d’eau. D’autres « décapitalisent », c’est-à-dire qu’ils vendent des animaux face au manque de fourrage, ou essaient de ventiler leurs bâtiments. Reste que les niveaux de changements proposés par les filières ne semblent pas à la hauteur des climats à venir en France. « Beaucoup de choses sont proposées sur la performance et peu sur la robustesse », relève ainsi Nicolas Métayer, de l’association Solagro.
Serge Zaka veut rester optimiste, convaincu qu’« on est capable de produire avec moins d’eau ». « Un sol vivant peut stocker plus d’eau et la restituer quand les sols en ont besoin », souligne-t-il. Il pointe aussi la « simplification des paysages qui a accéléré la course de l’eau ». On pense ici à la suppression des haies, au labour ou au drainage, qui augmentent la vitesse de ruissellement, aggravent les crues et contribuent à l’érosion des sols.
Tout l’enjeu est au contraire de ralentir l’eau, la répartir, l’infiltrer, mais aussi de protéger du soleil et de couper le vent. « Progressivement, le rôle de l’arbre est redéfini, observe Serge Zaka. Selon l’agroclimatologue, le paysage au niveau territorial permet de maîtriser le microclimat : « Le noyer protège le blé, l’ombre sur les vignes permet de maîtriser le taux d’alcool, des haies fruitières perpendiculaires contribuent à ralentir le vent et l’évapotranspiration... La problématique n’est pas agricole mais qui finance la transition. »
Dans le plan national d’adaptation présenté le 10 mars par la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, peu de mesures de financement figurent pour accompagner le monde agricole, comme le relève l’avis du Haut Conseil pour le climat, instance consultative indépendante. Le plan détaille surtout la perspective d’une France à +4 °C. Or, prévient Serge Zaka, « on est capable de faire face au changement climatique et d’en diminuer les effets, jusqu’à une certaine mesure de température. Au-dessus de 3 °C, ça devient plus compliqué. »
+4 °C en 2100, cela signifie des températures oscillant entre 45° et 50°C. Faudra-t-il la climatisation dans les poulaillers ? En 2003, la canicule avait décimé les élevages de volailles de l’ouest de la France, avec plus de 1,7 million d’animaux morts en raison des excès de chaleur.
Avec ces températures, « dans les plaines, les vignobles brûleront. Il n’y a pas d’adaptation possible. La meilleure façon de s’adapter à +4 °C, c’est de ne pas y arriver », tranche Serge Zaka. Les mots d’un paysan des Pyrénées-Orientales me reviennent et j’en prends toute la mesure : « Sans changement radical, ce sera le désert. »