Le projet d’autoroute A69 stoppé : ce qu’il va se passer maintenant

par Sophie Chapelle

Une décision du tribunal rendue le 28 février stoppe le chantier de l’A69. C’est la première fois qu’un projet d’autoroute de grande ampleur est annulé pour des raisons environnementales. L’État a annoncé faire appel. Quelles suites ? Décryptage.

Pourquoi les opposantes à l’A69 parlent-ils de « victoire historique » ?

Le tribunal administratif de Toulouse a annulé le 28 février l’autorisation environnementale du chantier de l’A69 qui est donc stoppé. « C’est la première fois en France qu’une infrastructure routière d’une telle importance est interrompue par un jugement, et non par une décision politique, comme ce fut le cas pour l’abandon du projet d’A45 entre Lyon et Saint-Étienne en 2018 », relève le quotidien Le Monde.

C’est aussi « la première fois qu’un projet d’autoroute de grande ampleur est annulé pour des raisons environnementales », observe Julien Bétaille, maître de conférences en droit de l’environnement sur France Bleu.

Pour le collectif d’opposantes à l’A69, La voie est libre (LVEL), « c’est un grand jour pour le droit environnemental ». « C’est une victoire juridique mais aussi une victoire de l’ensemble de la résistance plurielle contre ce projet », saluent également les Soulèvements de la Terre qui ont contribué à rendre visible cette lutte à l’échelle nationale. « C’est un coup de tonnerre juridique », estime de son côté Arnaud Gossement, docteur en droit spécialisé en droit de l’environnement, sur le média Vert.

Le projet d’autoroute de 53 kilomètres qui relie Verfeil (Haute-Garonne) à Castres (Tarn) a été déclaré d’utilité publique en 2018. Les travaux sont à un stade avancé et plusieurs juges des référés ont refusé de suspendre les travaux ces derniers mois. « Malgré tout ça, on aboutit à une annulation sèche et totale pour faute de ’’raison impérative d’intérêt public majeur’’ » précise Arnaud Gossement. La députée écologiste Christiane Arrighi, rapporteure de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le sujet, estime que « la justice joue pleinement son rôle en empêchant des choix court-termistes d’hypothéquer notre avenir ».

Quels sont les arguments avancés par le tribunal ?

Face aux promoteurs du projet qui insistent sur la nécessité de désenclaver, le tribunal administratif de Toulouse observe que « le territoire ne présente ni un décrochage démographique, (…) ni un décrochage économique ».

« Le coût élevé du péage du projet A69 est de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les usagers et les entreprises », ajoute le communiqué du tribunal. Et de conclure : « L’A69 et l’élargissement de l’A680 n’ayant que des bénéfices de portée limitée, il n’y a pas de nécessité impérieuse à les réaliser, et les arguments présentés en faveur de ces projets ne justifient pas qu’il soit dérogé à l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. »

Pour le Réseau action climat, « cette décision permet de stopper un chantier anachronique et destructeur pour l’environnement, qui avait reçu un avis défavorable du Conseil national de protection de la nature (2022) et de l’Autorité environnementale (2023) », rappelle l’organisation. « Comment justifier “l’’intérêt public majeur” d’une autoroute qui fait disparaître des centaines d’hectares de forêts et de terres agricoles, pour faire gagner quelques minutes à certains automobilistes seulement ? » demande aussi le Réseau action climat.

Que se passe t-il sur le chantier suite à cette décision de justice ?

Le projet, dont les travaux ont démarré en 2023, est suspendu. Selon l’État, « c’est globalement 300 millions d’euros, soit les deux tiers du coût de la construction, qui ont été engagés sur le chantier jusqu’à présent ». « Comment accepter que les juges n’aient pas pris en compte la situation du chantier avec (...) 45 % des terrassements réalisés, 70 % des ouvrages d’art construits et plus de 1000 salariés du concessionnaire qui se retrouveront demain sans emploi », fustige le député du Tarn Jean Terlier (Ensemble pour la République).

Seules les opérations de mises en sécurité du chantier peuvent se poursuivre. L’arrêt du chantier pourrait coûter plusieurs millions d’euros, ont fait valoir l’État et le concessionnaire, citant la nécessité de stabiliser des ouvrages en cours de réalisation, de protéger ceux déjà édifiés, ou de surveiller des matériels entreposés.

Le constructeur Atosca, concessionnaire désigné de l’A69, indique avoir pris « acte de l’impossibilité de poursuivre les travaux et de l’intention de l’État d’engager toutes les voies de recours permettant la reprise du projet dans les meilleurs délais possibles et dans le respect de la réglementation », selon un communiqué.

Pourquoi l’État fait-il appel de cette décision ?

Dans la foulée du rendu du tribunal, l’État a indiqué le 28 février faire appel de cette décision, « en demandant un sursis à exécution de la décision du tribunal administratif ». En clair, le gouvernement souhaite que le chantier puisse continuer à avancer pendant que la justice évalue la légalité de la décision du tribunal administratif.

Si ce sursis est accordé, le jugement sera suspendu et les travaux pourront reprendre. Dans l’éventualité où le sursis soit rejeté, l’annulation de l’autorisation continuera de s’appliquer et les travaux devront rester à l’arrêt. Selon Arnaud Gossement, « la cour juge quand elle le veut : elle peut le faire rapidement, dans les deux mois, comme dans un an ».

« Cette situation interroge la capacité de la France à mener à bien des grands projets d’infrastructures, au service de ses territoires. Elle appelle à repenser les procédures relatives à ces chantiers », a réagi Philippe Tabarot, ministre délégué chargé des Transports. « L’État réaffirme son attachement à la réalisation de cette infrastructure. En conséquence, il engagera toutes les voies de recours permettant la reprise du projet dans les meilleurs délais possibles et dans le respect de la réglementation », précise t-il dans son communiqué.

Le chantier devra-t-il être démantelé ?

« Si la cour administrative d’appel, puis le Conseil d’État, confirment l’annulation de l’autorisation environnementale, il faudra démanteler les travaux », explique Arnaud Gossement dans les colonnes de Vert. Il reviendra à l’État de prendre des mesures pour définir les conditions de remise en état du chantier. « C’est une première, car on n’a jamais démantelé une autoroute à un stade aussi avancé. » Avant d’arriver à cette situation, il faut compter au moins trois ans de procédures.

Selon Cécile Argentin, présidente de France nature environnement Occitanie-Pyrénées, « les services de l’État tout comme la Société Atosca n’ont pas voulu attendre que tous les recours soient purgés pour avancer leurs travaux conduisant à une destruction massive et irréversible de l’environnement et de la continuité écologique de ce territoire. Nous demanderons réparation pour ces atteintes innombrables aux milieux et à la ressource en eau. »

« Nous pensons aujourd’hui aux dizaines de vies brisées des propriétaires expulsés, à la fracture de notre territoire, aux centaines d’hectares de terres nourricières saccagées, à nos ruisseaux, nappes et rivières polluées, aux milliers d’arbres abattus, au vivant sacrifié, à notre paysage défiguré, à la route nationale déjà dégradée par un chantier rempli d’irrégularités », indique de son côté la Confédération paysanne.

Comment réagissent les promoteurs économiques locaux ?

La Fondation actionnaire des Laboratoires Pierre Fabre fait placer la menace d’une délocalisation de ses activités. Rappelant que les Laboratoires Pierre Fabre « sont le premier employeur et le principal investisseur privé du département du Tarn », le président de la Fondation, Pierre-Yves Revol, explique : « Si l’enclavement de Castres devait devenir définitif, notre politique future d’investissements serait amenée à évoluer pour privilégier des territoires d’accès plus rapide et mieux sécurisé et mieux profilé pour nous permettre d’attirer et de fidéliser nos talents. »

Le groupe pharmaceutique exerce un lobbying intense depuis les années 2000 en faveur de la construction de l’A69, rappelle le site d’informations Reporterre. En novembre dernier déjà, Pierre-Yves Revol, avait déjà usé de ce chantage à l’emploi dans les colonnes du quotidien local La Dépêche. Le président du Groupe Dépêche du Midi, Jean-Michel Baylet, a d’ailleurs qualifié la décision de justice rendue le 28 février de « proprement scandaleuse ». « Espérons que l’appel viendra contredire ce jugement inique » dit-il dans les colonnes de son journal.

« Le risque juridique était parfaitement identifié, rappelle Julien Bétaille, professeur de droit. Et lorsque le concessionnaire et l’État jouent la stratégie du fait accompli, ils savent très bien qu’il y a un risque pour que l’autorisation soit annulée. Et donc personne ne peut jouer la surprise aujourd’hui. C’est de la mauvaise foi. »

Quelles sont les positions des partis politiques suite à cette décision ?

Carole Delga, présidente socialiste de la Région Occitanie, renouvelle son soutien à ce chantier qu’elle a toujours défendu : « Je continuerai d’être aux côtés des habitants et des entreprises du sud du Tarn qui ont besoin de cette liaison rapide, qui la soutiennent très largement car elle est nécessaire au désenclavement du bassin de Castres-Mazamet. » Le président socialiste du Conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond, s’est quant à lui dit « atterré par cette situation ubuesque » : « la fin des travaux est prévue en fin d’année, et la justice sonne maintenant l’arrêt du chantier… Quel sens du timing ! On marche sur la tête ! »

Les voix des barons socialistes locaux se mêlent à celle de Jean Terlier, député Ensemble pour la République du Tarn : « Cette autoroute est vitale pour notre territoire, et son désenclavement, et je continuerai à me battre pour sa réalisation » a-t-il martelé. Le Rassemblement national, à travers la parole de son député européen de Haute-Garonne Julien Léonardelli, marque aussi son soutien au chantier : « L’annulation du projet d’autoroute Toulouse-Castres par la justice est une aberration, qui illustre une fois encore la domination idéologique d’une minorité militante, qui au nom d’une écologie punitive, refuse tout progrès et cherche en permanence à paralyser l’aménagement de nos territoires d’Occitanie ». En revanche, cette décision est saluée par les cheffes de file des groupes écologistes et France insoumise.

D’autres infrastructures routières sont-elles menacées ?

C’est ce que redoutent les acteurs économiques. « En Occitanie, d’autres initiatives essentielles à notre attractivité et à notre développement économique pourraient subir le même sort : la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse, le contournement de Montpellier » énumère le président de la Chambre de commerce et d’industrie Occitanie, Jean-François Rezeau.

C’est ce qu’espère a contrario l’association Notre affaire à tous : « Depuis quelques mois, des projets insensés sont arrêtés dans le Vallespir, le Val d’Oise, les Pyrénées orientales, l’Ardèche, et la Manche. En Haute-Loire, un rapporteur public a remis en cause des mesures compensatoires jugées insuffisantes sur la RN88 ». « Ce jugement appelle un tournant historique dans le processus de décision administratif d’aménagement du territoire », espère l’association.

Avant cette décision, une conférence de financement des mobilités a été annoncée par le ministre des transports, Philippe Tabarot, en mai prochain. L’idée d’un moratoire sur les nouveaux projets routiers et autoroutiers semble complètement écartée à ce stade par le gouvernement.

Comme le rappelle Arnaud Gossement, spécialiste en droit de l’environnement, « la portée de ce jugement est à apprécier avec prudence ». « Attendons le terme de ce contentieux en appel puis en cassation avant d’en tirer des leçons définitives. »

Le professeur de droit Julien Bétaille appelle pour sa part à mener une réflexion « sur la question de l’efficacité des procédures judiciaires dans le domaine de l’environnement ». « Aujourd’hui, la situation telle qu’elle est ne satisfait personne, ni les partisans du projet, ni les opposants qui veulent défendre la biodiversité. »