Chez Orange, une salariée handicapée licenciée après avoir gagné un procès

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Alors qu’Orange prépare un nouveau plan de réorganisation pour 2026, une ancienne salariée témoigne de son calvaire dans l’entreprise. Elle a été licenciée après avoir gagné un procès pour harcèlement moral. Enquête.

par Maïa Courtois

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Un nouveau grand plan de régionalisation interne est prévu à Orange, ex-France Télécom. L’entreprise a annoncé mi-juin le lancement du plan « Regain » au 1er janvier 2026. Samira* [1], 40 ans, ne le verra pas. Cette femme qui vit dans les Alpes-maritimes a travaillé douze ans pour la multinationale. Jusqu’à ce qu’en novembre dernier, elle reçoive un courrier l’informant de son licenciement.

L’histoire individuelle de Samira s’inscrit dans la grande histoire d’Orange, celle d’un management souvent brutal, qui a mené en 2008-2009 à une profonde crise sociale, puis à un vaste procès et à une condamnation définitive début 2025 de l’ex PDG de l’entreprise pour harcèlement moral institutionnel. « Coûte que coûte, chez Orange, il faut licencier, peu importe la vulnérabilité des employés, ils n’ont qu’à crever », lâche la fille de Samira, Chloé*. Son amertume est nourrie par des années de bataille pour faire reconnaître le harcèlement subi par sa mère sur son lieu de travail. 

Harcelée puis licenciée

Le dossier judiciaire, lourd, détaille des faits de harcèlement moral, mise en danger volontaire, non respect de l’obligation de sécurité, discrimination raciale et non respect de la situation de handicap. Une histoire qui « a gâché une bonne partie de la vie de ma mère et de la mienne », dénonce Chloé.

Samira est entrée chez Orange en CDI en 2012, dans un service de réclamation et ventes, avec un statut reconnu de travailleuse handicapée. En 2013, elle devient conseillère en boutique. Son diabète de type 1 l’oblige à certains aménagements : notamment le fait de manger à heure fixe le midi pour la bonne efficacité de son traitement à l’insuline. 

Dès le début, Samira comprend que son intégration ne va pas être simple. Elle ne reçoit pas de formation adéquate, puis sa responsable enchaîne les « brimades et propos racistes quotidiens », dénonce-t-elle. Par exemple, « ma responsable est allée voir mes collègues de travail pour leur dire de faire attention à moi, de ne pas me laisser seule, de faire attention à leurs affaires personnelles », témoigne Samira, d’origine algérienne. Sans compter les qualificatifs racistes et insultants attribués à certains clients : « bougnoule », « voleur »… La salariée dit aussi recevoir des propos discriminatoires visant son handicap. Parfois, ces propos prennent la forme d’un « dénigrement devant un client », comme le regrette Samira auprès de sa responsable dans un mail de novembre 2013. 

Refus de la pause nécessaire au traitement du diabète

Dès les premières semaines, l’emploi du temps imposé par la responsable ne respecte pas le temps de pause nécessaire à Samira pour son traitement contre le diabète. Cette pause déjeuner doit se tenir à heure fixe, à 12h30, sur 30 minutes, selon la médecine du travail elle-même. Or, tout repose sur le bon vouloir de sa manager.

Faute d’aménagement, en janvier 2014, le médecin du travail délivre un premier avis d’inaptitude au poste. Mais cela n’entraîne aucun changement. Un nouvel avis est délivré deux mois plus tard, rappelant l’inaptitude au travail en boutique, au port de charges, et recommandant un mi-temps thérapeutique. 

Le 4 avril 2014, une énième fois, Samira est empêchée de prendre sa pause déjeuner à l’heure prévue. « Ma mère devait partir en pause mais sa manager l’a bloquée. Elle a insisté, mais la manager répétait “non non…”. Ma mère s’est écroulée. » Samira fait un malaise hypoglycémique suivi d’un accident ischémique transitoire, aux symptômes et effets similaires à un AVC. Elle est hospitalisée. Le médecin spécialisé du service de diabétologie de l’hôpital rend un avis exigeant, à son tour, une pause à 12h30 d’une demie-heure, pour son traitement d’insuline.

Des malaises à répétition

Pour Samira et sa famille, l’employeur a failli à son obligation de sécurité en ne protégeant pas la salariée, malgré la connaissance des avis médicaux antérieurs. Pour rappel, l’article L.4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Trois jours plus tard, Samira revient en boutique. Elle demande à nouveau à sa responsable de lui accorder la pause déjeuner à 12h30, se référant à l’incident trois jours plus tôt. Rien à faire : la responsable, qui lui a décalé sa pause déjeuner, ne lui libère toujours pas ce créneau. Samira fait un nouveau malaise. Plus grave, cette fois. Elle tombe dans un coma diabétique.

Le 18 avril, l’avocat de Samira met en demeure l’employeur d’agir en proposant un poste adapté conformément aux exigences de la médecine du travail – un courrier recommandé laissé sans réponse. Une enquête interne est ouverte, mais Samira n’a jamais pu en recevoir un compte-rendu écrit, tandis que l’enquête est restée sans effet. Le 23 avril, Samira porte plainte contre sa responsable. 

Des pressions au domicile

Depuis le dépôt de cette plainte il y a dix ans, la famille affirme avoir reçu des pressions, jusqu’au domicile. « Pour ma mère, c’était l’enfer, rapporte sa fille. Elle était sous antidépresseurs et commençait à avoir peur de sortir de chez elle. » Côté santé, depuis ses malaises de 2013-2014, Samira enchaîne des accidents cérébraux. Elle finit par être touchée par une hémiplégie partielle. En 2016, suite à des demandes de la médecine du travail, elle est reconnue en invalidité catégorie 2 – définie par l’Assurance maladie comme « absolument incapable d’exercer une profession quelconque ».

Reconnaissance par la justice

Le procès s’ouvre en 2018, après plusieurs contretemps judiciaires, et s’achève à la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2022. À la cour d’appel, la vingtaine de chefs d’accusation détaillés est reconnue par la justice. La famille perçoit 20 000 euros de dommages et intérêts, contre 80 000 demandés. L’audience a été difficile : Samira n’avait pas de quoi s’asseoir lorsqu’elle était appelée à la barre. « Ce procès, c’était Orange contre ma mère », déplore Chloé. 

Plus de deux ans après, Samira a reçu un courrier de licenciement. Elle n’a pas la force d’en contester la légalité, d’autant que cela ne changerait rien à ses revenus, issus exclusivement de la pension d’invalidité versée par la Sécurité sociale. « Elle a préféré tout couper » et se préserver, dit sa fille. Aujourd’hui, la famille rassemble ses dernières forces pour saisir la justice sur un point précis : elle s’est aperçue que l’employeur n’avait pas déclaré comme accidents du travail, mais simplement en arrêts maladie, les différents incidents en boutique. Moins coûteux pour l’employeur ; moins favorable pour la salariée.

Chloé et Samira gardent de ces années de bataille un traumatisme. « Ça a impacté à la fois notre vie de famille, la vie sociale de ma mère, sa santé physique. Les séquelles sont encore présentes, résume Chloé. Quand on vous vole une partie de votre vie, on ne s’en remet jamais vraiment. »

Boîte noire

Cet article a initialement été publié dans une version plus longue sur notre média partenaire Rapports de force.

Notes

[1Les prénoms ont été changés.