Spéculation

« Les loyers explosent » : dans les zones touristiques, nouvelles mobilisations pour le droit au logement

Spéculation

par Rachel Knaebel

Une nouvelle crise du logement touche la Bretagne, les Alpes, le Pays basque… Face aux touristes et aux résidences secondaires, précaires et classes moyennes ne trouvent plus de toit. « Il y a des solutions », affirment les citoyennes mobilisées.

« Nous, on n’est pas une région riche. Les Côtes-d’Armor, c’est le département avec les plus bas salaires de Bretagne. Alors, une hausse des prix sur le marché locatif, ce sont des travailleurs qui ne peuvent pas se loger. » Gaël Roblin, 49 ans, travaille dans le milieu associatif et est élu d’opposition de la gauche indépendantiste à Guingamp. L’accès de plus en plus difficile au logement agite la Bretagne, du nord au sud, depuis cet été. Le 10 septembre, des manifestations ont rassemblé des milliers de personnes à travers la région, à Douarnenez ou Concarneau dans le Finistère, à Vannes dans le Morbihan, à Lannion dans les Côtes-d’Armor. De nouveaux rassemblements sont prévus à Morlaix et Lorient le 29 octobre.

« La difficulté à se loger touche une part toujours plus grande de la population », constate Maxime Sorin du collectif Droit à la ville de Douarnenez. Il était déjà dur de se loger dans les grandes métropoles de France, Paris, Lyon, ou Nantes… C’est maintenant également le cas dans les petites villes bretonnes. Les confinements les ont rendues plus attractives pour les urbains. Conséquence : « Les classes moyennes commencent elles aussi à être en difficulté pour accéder au logement. Avant, c’était surtout les nouveaux habitants qui peinaient à trouver un toit à Douarnenez. Aujourd’hui, même ceux avec des réseaux familiaux et amicaux n’y parviennent pas. Donc, le sujet mobilise. »

Même les zones jusqu’ici préservées de l’immobilier touristique, comme Guingamp, se retrouvent dans des situations tendues « Il y a eu une accélération ces dernières années, précise Gaël Roblin. D’abord, avec l’arrivée de la ligne de train à grande vitesse. Ensuite, les collectivités ont survendu le projet d’attractivité de la côte, c’est un modèle de développement présenté comme incontournable. À un moment, on en paie le prix : on a vu l’explosion des locations en Airbnb. Le quatrième facteur qui aggrave tout, c’est l’absence de politique de financement de logement public. »

Pression d’Airbnb et des résidences secondaires qui ont vue sur mer

À Douarnenez, Guingamp, Vannes… des centaines de logements sont proposés sur Airbnb, à des prix bien plus avantageux pour les propriétaires que s’ils les louaient à de véritables habitants. Avec le Covid, la région a aussi vu arriver un afflux d’investissement dans des résidences secondaires. « Avant, il y avait déjà du mal-logement à Douarnenez, mais il y avait encore du logement vacant et beaucoup de choses à vendre, rapporta Maxime Sorin. Douarnenez, c’est une ville industrielle à l’origine, avec tous les stigmates associés en termes de logement. Jusqu’à il y a encore quelques années, le centre-ville n’était pas attractif. C’est récent qu’il le redevienne, avec la pression d’Airbnb et des résidences secondaires qui ont vue sur mer. Avec le Covid, en quelques mois, il n’y a plus rien eu à vendre, tout était saturé. On n’a pas encore vu de nouveaux habitants arriver, mais les prix, eux, ont explosé. »

Carte de la tension du marché de l'habitat en Bretagne en 2018.
Carte de la tension du marché de l’habitat en Bretagne en 2018.
Dreal Bretagne

Des collectifs pour le droit au logement ont émergé dans toute la Bretagne [1]. « Nous avons commencé en 2018 à travailler sur la question des résidences secondaires, c’était déjà très problématique dans les zones touristiques, principalement sur la côte, nous dit Ewan Thebaud, 33 ans, du collectif Dispac’h, présent dans les cinq départements bretons. Eux aussi constatent une explosion des demandes d’achat et des prix depuis le Covid. En plus, « le phénomène Airbnb s’est amplifié et a retiré énormément de logements du marché de la location à l’année. Et il n’y a aucun outil à disposition des municipalités pour pouvoir vraiment agir », critique le trentenaire.

Le collectif Tregor Argoat Goelo Zone Tendue demande lui aussi que les municipalités bretonnes puissent agir pour garantir le droit au logement. Ce serait possible si la Bretagne était considérée par l’État comme une zone tendue en matière d’habitat. En 2013, dans la foulée de la loi Alur pour le logement, un décret définit une série de zones tendues. Cette classification permet aux municipalités notamment d’encadrer les loyers, de réguler les meublés touristiques ou encore de surtaxer les résidences secondaires. Aucun territoire breton n’est, à l’époque, classé comme tel. « Le décret qui a listé ces zones était pensé pour réguler l’immobilier dans les métropoles », pointe Gaël Roblin.

« Revenir à la charge tous les six mois »

En juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative à l’Assemblée nationale, le député du Morbihan Paul Molac (ancien de l’Union démocratique bretonne et de La République en marche, membre du groupe Libertés et territoires à l’Assemblée nationale) a bien tenté de faire amender le texte pour étendre le classement « zone tendue » à l’ensemble de la Bretagne. Sans succès. Depuis les Côtes-d’Armor, le collectif de Gaël Roblin compte bien rappeler aux parlementaires cette revendication à chaque vote de la loi de finances, en fin d’année, et de la loi de finances rectificative à l’été :« Le mouvement a compris qu’on pouvait revenir à la charge tous les six mois ». Le prochaindébat parlementaire sur le budget aura lieu d’ici la fin d’année, d’où les mobilisations actuelles. À Saint-Malo, la municipalité a déjà obtenu par dérogation auprès du préfet de pouvoir limiter les meublés touristiques en instaurant un quota maximum.

Le collectif Droit à la ville à Douarnenez de Maxime Sorin veut encore aller plus loin. « Si on ne passe pas cet hiver par une lutte contre la précarité énergétique dans les logements, on aura raté quelque chose. Et il faut parler de production de logement public et non marchand, avec des expérimentations anti-spéculatives comme les baux réels solidaires, les organismes fonciers solidaires. On porte aussi les revendications plus anciennes du mouvement pour le droit au logement : pas d’expulsion sans relogement, hausse des APL. On tire une ficelle, on aimerait qu’elle ne serve pas à des élus fainéants qui disent qu’ils agissent contre le mal-logement en taxant simplement les résidences secondaires. »

Le problème ne concerne pas seulement les côtes bretonnes. Dans les Hautes-Alpes, un collectif a organisé, en septembre, trois jours de mobilisations pour « le droit au logement des habitantes face à l’augmentation des résidences secondaires et à la spéculation », parce que « les Alpes ne peuvent pas accueillir toute la richesse du monde ». Dans le département de montagne aussi, « les loyers explosent, et surtout, il n’y a pas de logement disponible, rapporte José Pluki, artisan et militant local. C’est une confiscation. Les gens riches achètent des logements pour ne rien en faire. Il faut remettre en location ce qui n’est pas loué. »

L'association basque Alda a organisé plusieurs occupations d'appartements loué sur Airbnb sans numéro d'enregistrement, ce qui est illégal, ici en octobre 2021 0 Biarritz.
L’association basque Alda a organisé plusieurs occupations d’appartements loués sur Airbnb sans numéro d’enregistrement, ce qui est illégal, ici en octobre 2021 à Biarritz.
©Alda

« On a permis à des dizaines de personnes de rester dans leur logement cet été »

« Il y a des solutions », insiste Malika Peyraud, de l’association basque Alda, créée à l’automne 2020 par des militants pour le climat. Le Pays basque aussi est accaparé par les locations touristiques. « Les spéculateurs transforment le parc locatif en meublés de tourisme. Nous avons réalisé un diagnostic l’année dernière. On est arrivé à l’estimation qu’en fourchette basse, au moins 6000 à 7000 logements, probablement aux alentours de 9000 ou 10 000, ont ainsi été transformés ces dernières années en locations saisonnières disponibles à l’année sur diverses plateformes internet. Pour comparaison, le parc locatif privé basque comptait en 2017 un peu plus de 41 500 logements. »

De nombreux propriétaires obligent en plus les locataires accepter des baux illégaux, comme des contrats de neuf mois pour des salariés permanents (alors que la loi limite ce type de contrat aux étudiants et travailleurs mobiles). Ils peuvent ainsi louer les appartements à des touristes pendant l’été, pour bien plus cher. « Plein de gens avec des salaires très corrects vont ainsi camper sur le canapé de leurs proches trois mois pendant l’été pour revenir dans leur appart en septembre, et cela pendant des années. On a identifié 14 techniques différentes de baux frauduleux, témoigne la militante d’Alda. On a vu des baux où le loyer augmente pendant les mois d’été, ce qui est illégal ; ou encore des baux meublés dans lesquels il faut apporter... ses meubles »

Alda accompagne au quotidien les locataires en difficulté, avec des victoires très concrètes à la clé. « Cette année, on a aidé 357 personnes et familles. La première chose qu’on fait, c’est de discuter avec les propriétaires pour leur expliquer le caractère illégal des contrats quand c’est le cas, et leur proposer de requalifier le bail. On a ainsi permis à des dizaines de personnes de rester dans leur logement cet été. Certains cas vont assez vite, d’autres mettent parfois des mois », explique Malika Peyraut.

La préfecture veut sanctionner les propriétaires

L’association est aussi parvenue à faire bouger les pouvoirs publics. En mars, la communauté d’agglomération du Pays basque a voté une mesure de compensation obligatoire pour les propriétaires qui souhaitent transformer un logement en appartement pour touristes. En vertu de cette mesure, le propriétaire doit produire un nouveau logement de surface équivalente et dans la même commune pour tout logement d’habitation devenu meublé de tourisme.

En octobre 2021, Alda a installé une permanence logement dans un appartement loué en meublé touristique sur Aibnb.
En octobre 2021, Alda a installé une permanence logement dans un appartement loué en meublé touristique sur Aibnb.
©Alda

Une telle obligation existe déjà dans quelques grandes villes de France, comme Paris ou Bordeaux. Au Pays basque, des propriétaires de meublés touristiques ont contesté la mesure devant la justice. Mais le tribunal administratif de Pau l’a validée en septembre. Elle entrera en vigueur en mars prochain. « La mesure de compensation va mettre un coup de massue à l’expansion des Airbnb, elle devrait permettre de sauver 20 000 logements dans les années à venir, selon la courbe actuelle d’expansion d’Airbnb », se réjouit Malika Peyraut.

Sur les baux frauduleux, Alda a obtenu une rencontre avec la préfecture des Pyrénées atlantiques en juin, qui a donné lieu à des engagements. Fin août, le préfet a annoncé la mise en place d’un comité de lutte contre les baux frauduleux. Celui-ci réunit notamment le fisc et le parquet pour envisager des procédures pénales, administratives et fiscales contre les propriétaires malhonnêtes. La première réunion a eu lieu fin septembre. « Ils ont examiné huit cas et pris la décision de pousser les investigations, deux pourraient faire l’objet de poursuites pénales », détaille Malika Peyraut.

Pour la militante climatique, remettre des logements sur le marché locatif classique, « c’est à la fois une victoire écologique et sociale. Car ces logements sauvés sont autant de logements qu’on n’aura pas à produire en bétonnant ou en artificialisant des terres. » Les activistes bretons soulignent aussi que leur lutte a tout à voir avec l’environnement. « Comme la majorité des gens travaillent sur la bande côtière, mais ne peuvent plus s’y loger, et qu’on n’a pas de moyens de transports publics, on prend tous notre voiture, tout le temps, explique Gaël Roblin. C’est maintenant fréquent ici d’avoir 35 à 40 minutes de trajet entre son domicile et son travail. C’est un non-sens environnemental ».

Rachel Knaebel

Photo de une : Manifestation pour le droit au logement au Pays basque en novembre 2021. ©Jean-Jacques Richepin/Alda.

Suivi

Mise à jour du 26 octobre 2023 : Le 23 octobre 2023, le gouvernement a publié au journal officiel un décret autorisant l’encadrement des loyers dans la communauté d’agglomération du Pays basque, qui y avait candidaté. Le préfet doit ensuite publier un nouveau décret, au cours de l’année 2024, qui définira un montant plafond de loyer par mètre carré, type de logements et communes. L’encadrement renforcé des loyers pourra dès lors s’appliquer dans 24 communes de la zone tendue du Pays basque. « On peut également espérer que la perspective de cette mesure, se rajoutant à l’entrée en vigueur de la compensation, aura un effet de refroidissement sur les prix du marché et stoppera certaines pratiques spéculatives », s’est réjouie l’association Alda, engagée pour l’accès au logement dans le Pays basque.

Mise à jour du 6 octobre 2022 à 17h10 : Le chiffre du nombre de personnes accompagnée cette année par l’association Alda a été précisé ; au chiffre du nombre de logement transformés en meublés de tourisme à l’année au Pays baque a été ajouté pour comparaison celui du nombre de logements du parc locatif privé au Pays basque en 2017.

Notes

[1Outre celui de Douarnenez, on recense Dispac’h, Tregor Argoat Goelo Zone tendue dans le nord de la région, « Logement pour tous » créé fin août dans le Pays de Morlaix, la coordination Un ti da bep hini/Un logement pour toutes…