Pour manger sans pesticides pendant la grossesse, des paniers bio prescrits aux femmes enceintes

AlternativesAgriculture bio

Distribuer des paniers d’aliments garantis sans pesticides ni perturbateurs endocriniens pour les femmes enceintes. L’initiative de l’« ordonnance verte » née à Strasbourg a déjà convaincu une vingtaine de villes en France. Reportage à Rennes.

par Nolwenn Weiler, Sophie Chapelle

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Situés au cœur du campus universitaire de Villejean, à Rennes, les locaux de l’ESS Cargo sont ouverts toute l’année. C’est un tiers lieu – espace d’échange collectif – où défilent chaque jour des étudiantes, des habitantes, des associations et des travailleurses du quartier. Et c’est ici que sont distribués, tous les quinze jours, des « paniers de grossesse bio ».

Avant que les bénéficiaires arrivent, Bintou Badiane, en charge de ce projet d’alimentation durable au sein de l’ESS Cargo, vérifie le nombre de paniers – une petite quinzaine doivent être récupérés. « Ce sont souvent les papas qui viennent », explique-t-elle, alors que l’un d’eux franchit la porte avec sa petite fille de deux ans.

C’est en l’amenant à la crèche qu’il a été informé de ce dispositif des paniers bio pour les femmes enceintes et les mères de nourrissons. Le dispositif lui convient, lui et sa compagne aiment cuisiner à la maison. « Cette famille est très assidue, ils reviennent chaque quinzaine, remarque Bintou Badiane. Mais c’est le cas de la plupart des bénéficiaires. »

Une femme vêtue de blanc et noir téléphone à côté d'un tableau sur lequel est écrit "distribution paniers de grossesse"
Bintou Badiane, chargée de projet en alimentation durable au sein de l’ESS Cargo, appelle les femmes qui ne sont pas venues chercher leur panier.
©Nolwenn Weiler

Signe que le dispositif répond à un besoin ? Yannick Nadesan l’espère. Adjoint à la santé à la ville de Rennes et conseiller métropolitain délégué à l’agriculture et à l’alimentation, l’élu communiste anime localement ce dispositif des paniers de grossesse qui essaime partout en France. « Nous sommes pour le moment dans une approche expérimentale entamée en novembre 2024, précise l’élu. 50 à 70 femmes en bénéficient dans la ville bretonne. L’idée, c’est d’aller jusqu’à mille. »

Gratuits, les paniers sont distribués pour au moins trois mois. La durée varie ensuite en fonction du quotient familial (qui dépend des revenus du ménage). À Rennes, il existe deux points de distribution. Situés au nord de la ville, ils sont hébergés par des organisations bien implantées dans les quartiers et qui travaillent sur les questions alimentaires.

Ordonnances vertes

Cette initiative s’inspire de l’expérimentation des « ordonnances vertes » lancées fin 2022 par la municipalité de Strasbourg. Dans la capitale alsacienne, depuis trois ans, 2000 femmes enceintes ont eu accès à des paniers de légumes bio et locaux, sur une durée de deux à sept mois selon leur quotient familial. Le dispositif prévoit aussi l’accès à deux ateliers de prévention sur les perturbateurs endocriniens, durant lesquels des alternatives en matière d’ustensiles sont par exemple proposées.

Une femme debout à côté d'un vélo équipée d'une carriole à l'avant.
Paola a commencé à bénéficier des paniers bio en fin de grossesse, à Rennes. C’est une amie qui l’a avertie de l’existence de ce dispositif.
©Nolwenn Weiler

Alexandre Feltz est l’initiateur de l’ordonnance verte. Adjoint à la mairie de Strasbourg (sous l’étiquette Place publique) en charge de la santé publique et environnementale, il est aussi médecin généraliste et enseignant à la faculté de médecine de Strasbourg. La mise en œuvre du dispositif strasbourgeois s’appuie sur 250 professionnelles de santé, gynécologues, médecins généralistes, sages-femmes, qui prescrivent l’ordonnance verte. La ville de Strasbourg a consacré plus de 650 000 euros l’année dernière pour le projet. Les défenseurses de l’initiative assurent que la somme vaut la peine si l’on prend en compte les économies estimées en termes de dépenses de santé.

Des producteurs locaux

À Rennes, la mise en place des paniers bio pour les femmes enceintes et les jeunes mères a été facilitée « par le travail au long cours mené sur la santé des enfants par la ville », explique Yannick Nadesan. En plus des actions sur la qualité de l’air, notamment à proximité des écoles, Rennes travaille sur la restauration collective, en mettant l’accent sur des aliments bio et locaux depuis des années.

Dans la capitale bretonne, la logistique était déjà en place avec des organisations comme la coopérative Terres de sources qui réunit notamment des agriculteur.ices ou le groupement local de producteurices bio Manger bio 35. Cela a facilité l’approvisionnement de la collectivité en paniers bio et locaux. « L’objectif maintenant, c’est de continuer à bien faire connaître le dispositif aux professionnels qui peuvent orienter les femmes : médecins, gynécologues, sages-femmes, personnel de la protection maternelle et infantile, vise l’élu rennais. Il s’agit de faire venir à l’alimentation bio des gens qui n’en ont pas forcément l’habitude. »

Une femme souriante, assise, regarde l'objectif.
Emma, enceinte de cinq mois, a connu les paniers de grossesse grâce à sa sœur.
©Nolwenn Weiler

Le bouche-à-oreille fait aussi son travail. Plusieurs des femmes rencontrées à Rennes ont pris connaissance de l’existence des paniers bio par leurs amies, voisines, sœurs et mères, ou leurs sages-femmes. « On a une sage-femme sur le quartier qui relaie bien l’information, explique Marie Paqueteau, co-dirigeante à l’ESS Cargo. Mais il reste beaucoup de gens à informer. Certains se disent sans doute que cela va être compliqué. Ils ne pensent pas qu’il suffit de se manifester une fois avec son coefficient familial. »

Deux concombres, deux courgettes, une salade, une bouteille de jus de pomme, un petit paquet de quinoa : on trouve dans le panier de quoi se régaler pour quelques repas. « C’est de l’appoint, dit Emma, qui a l’habitude de faire ses courses au marché en prêtant attention à l’origine et à la façon dont a été cultivé ce qu’elle achète. Mais c’est vraiment bien, je trouve, de prendre l’habitude de bien manger avant l’arrivée du bébé. La semaine dernière, on a eu dans le panier des lentilles cultivées près d’ici. En plus, c’est quelque chose que je peux conserver. »

Approvisionnement dans un rayon de 50 kilomètres

Des sacs en papier remplis.
Cultivés dans un rayon de 50 kilomètres autour de Rennes, les ingrédients sont mis en panier au sein d’un établissement de travail réservé aux personnes en situation de handicap (Esat) de la ville.
©Nolwenn Weiler

« Pour nous, c’est une politique de santé publique et de soutien aux agriculteurs bio qui ont été en difficulté ces dernières années », précise Yannick Nadesan. « 55 % de la surface de la métropole de Rennes est agricole, notre territoire compte 700 fermes, ajoute-t-il. C’est un pilier économique, et cela nous permet de nous approvisionner dans un rayon de 50 kilomètres autour de la ville pour faire ces paniers de grossesse. »

D’autres communes pourraient rejoindre le dispositif. Saint-Jacques-de-la-Lande, au sud de Rennes, est intéressée. À l’échelle nationale aussi, l’initiative a essaimé, par exemple à Lons-le-Saunier, dans le Jura, à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, ou en Charente avec les « paniers jeunes pousses ». Une vingtaine d’expérimentations existent déjà et plusieurs sont en cours d’élaboration, selon une carte réalisée par l’association Alerte des médecins sur les pesticides.

Mesurer les effets sur la santé

Pour mesurer les effets du dispositif, une étude clinique menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) doit débuter en octobre, en partenariat avec les hôpitaux universitaires de Strasbourg. Elle va étudier la diminution de l’exposition aux perturbateurs endocriniens chez les bénéficiaires de ces paniers. En septembre 2024, la députée écologiste Sandra Regol a par ailleurs déposé une proposition de loi visant à instaurer une ordonnance verte, pour généraliser l’offre aux femmes enceintes de paniers de fruits et légumes bio pris en charge par la Sécurité sociale, chaque semaine jusqu’à la douzième semaine suivant l’accouchement, et indépendamment des revenus.

La parlementaire chiffre le besoin de financement annuel autour de 700 millions d’euros, dans l’hypothèse où l’ensemble des femmes enceintes auraient recours au dispositif. La proposition n’a pas encore été discutée à l’Assemblée nationale.