Après plus d’un an et demi de guerre et de bombardements israéliens à Gaza, des dizaines de milliers de personnes tuées, dont un très grand nombre d’enfants et de femmes, la situation humanitaire dans l’enclave palestinienne est « catastrophique, et le mot est très, très faible », témoigne Clémence Lagouardat, coordinatrice de la réponse humanitaire d’Oxfam à Gaza. Elle s’est rendue à trois reprises à Gaza entre novembre 2024 et avril 2025. Manque de nourriture, pénurie d’eau potable, de médicaments, le tout sous les bombardements incessants. « Nous, les humanitaires, nous n’avons plus les mots », dit Caroline Bedos, responsable du pôle Moyen-Orient chez Médecins du monde.
« Les gens sont affamés »
Le 2 mars 2025, les autorités israéliennes ont mis en place un blocus humanitaire, privant les plus de deux millions de personnes vivant à Gaza de vivres, de soins et de carburant. En parallèle, Israël a lancé le 18 mai une nouvelle offensive militaire. « Depuis le blocus, tout ce qu’on observe, c’est la folie de la situation, alerte Adéa Guillot, porte-parole de l’ONG Care France. On le voit dans nos cliniques : on prend en charge des bébés de treize mois qui ont la taille et le poids de bébés de cinq mois ! »
Selon un rapport de Médecins du monde, à Gaza, en avril 2025, un enfant de moins de cinq ans sur quatre, et une femme enceinte ou allaitante sur cinq présentaient une malnutrition aiguë ou un risque élevé d’en souffrir. « Les stocks des ONG fondent, les prix sur les marchés augmentent, et les gens sont affamés, résume Caroline Bedos. La faim est utilisée comme une arme de guerre », accuse-t-elle. « On a fini notre dernier stock, explique aussi Clémence Lagouardat d’Oxfam. Pour la nourriture, on ne peut plus rien. »
La très grande majorité des infrastructures de Gaza – écoles, hôpitaux, stations d’épuration pour l’eau potable – sont à terre. « L’eau est contaminée, ce qui fragilise encore plus les organismes des personnes », précise la coordinatrice de Médecins du monde Caroline Bedos. Selon les humanitaires, le quotidien des Gazaouis se résume à chercher à manger et à boire, et à se construire un énième abri de fortune.
« 95 % de la population est sous ordre de déplacements forcés et doit se replier sur 20 % du territoire, précise Caroline Bedos. En se déplaçant, les Gazaouis perdent des biens et des vivres, quand ils ne perdent pas la vie. » Les familles survivent à même la rue, au milieu des décombres et des cimetières à ciel ouvert, « dans des conditions de survies atroces ». « À chaque fois, ils doivent se reconstruire une tente de fortune, et puis tout recommencer, encore et encore », décrit Adéa Guillot de Care.
« Les camions sont un effet d’annonce »
Face à la pression internationale, depuis le 20 mai, Israël a autorisé plusieurs dizaines de camions à entrer dans Gaza. Une goutte d’eau. À titre de comparaison, avant le 7 octobre 2023, 300 à 500 camions humanitaires entraient quotidiennement dans l’enclave. Pour les ONG, ces quelques camions sont un simple « effet d’annonce ». « C’est un chiffre scandaleusement bas, dénonce Caroline Bedos. Sur quels critères va-t-on distribuer les quelques kilos de farine et de pain ? »
L’aide humanitaire nécessite par ailleurs une logistique qui n’est pas prise en compte. « Quand on a des frappes aériennes toutes les quatre minutes, c’est compliqué d’envoyer des camions dans des entrepôts qui sont eux-mêmes visés », explique Clémence Lagouardat. « Et même s’ils arrivent finalement à destination, ce n’est pas suffisant, complète Adéa Guillot. Lorsque Israël envoie du lait en poudre alors qu’il n’y a pas d’eau, ou de la nourriture crue alors qu’il n’y a pas de réchaud ou autre pour la cuire, ça ne sert pas à grand-chose ! »
Des humanitaires impuissants
Les ONG font toutes état d’une situation inédite à Gaza. « On en a vu, des contextes très difficiles, témoigne Clémence Lagouardat. Mais pas à ce point. La population de Gaza est épuisée, elle a utilisé toutes ses ressources d’adaptation. » Contrairement à d’autres populations soumises à des crises humanitaires, les Gazaouis ne peuvent pas fuir. « Ils sont condamnés à rester sur une toute petite partie du territoire, constate Adéa Guillot. Heureusement, les Palestiniens sont très solidaires entre eux. Mais ce n’est pas suffisant. »
La guerre israélienne à Gaza a déjà fait plus de 53 000 morts. Le véritable bilan est très probablement bien plus important, explique Caroline Bedos : « Le chiffre avancé, ce sont les corps retrouvés, recensés, mais il y a tous les autres sous les décombres. Et toutes les morts de causes indirectes, par la faim, la maladie ou l’épuisement. »
Le droit international humanitaire prescrit aux puissances occupantes, ici Israël, d’autoriser et de faciliter les opérations de secours. Mais face à une militarisation de l’aide humanitaire, les ONG appellent à faire pression sur les autorités d’Israël afin qu’elles laissent entrer une aide massive, et neutre, et demandent un cessez-le-feu immédiat.