C’est un souffle d’espoir pour celles et ceux qui défendent la biodiversité. Vendredi 6 juin s’est tenu à la cour administrative d’appel de Paris le procès en appel de l’affaire « Justice pour le vivant ». Le cœur de ce dossier, pour les associations requérantes Notre affaire à tous, Pollinis, l’Association nationale de protection des eaux et rivières (Anper), l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) et Biodiversité sous nos pieds, est la mise à jour, en adéquation avec la science, des protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). L’organisme public est chargé d’évaluer les risques sanitaires liés aux pesticides, pour autoriser ou non leur mise sur le marché en France. Pour cela, il s’appuie sur des critères d’évaluation fixés par une réglementation de l’Union européenne.
« Si les juges suivent la préconisation de la rapporteure publique, ce sera une victoire historique pour le vivant », se réjouit Justine Ripoll, responsable de campagne de Notre affaire à tous. La rapporteure publique, dont le rôle est de proposer en toute indépendance une solution juridique, suivie ou non par les juges, a en effet affirmé que l’État était responsable de l’aggravation du déclin de la biodiversité. L’État avait d’ailleurs été condamné en première instance, en 2023 par le tribunal administratif de Paris pour inaction face à l’effondrement de la biodiversité. Le tribunal avait aussi attesté de la responsabilité de l’État dans la contamination généralisée et globale de nos eaux et de nos sols aux pesticides.
Le 6 juin, la rapporteure publique de la cour administrative d’appel a proposé d’enjoindre l’État à mettre en œuvre, dans un délai de douze mois, une évaluation des risques sur les espèces non-cibles des pesticides, comme les vers, les abeilles ou les oiseaux. Le droit européen demande de protéger ces espèces qui ne sont pas directement visées par les pesticides, mais peuvent tout de même en subir les effets néfastes.
Protéger la biodiversité et la santé humaine
En première instance, la justice avait reconnu pour la première fois l’existence d’un préjudice écologique résultant d’une contamination généralisée de l’eau et des sols par les pesticides, et avait reconnu la faute de l’État français. Mais, tout en pointant les failles des procédures de l’Anses et leur lien avec le déclin de la biodiversité, le tribunal n’avait pas ordonné à l’État de revoir ces méthodologies. Le tribunal lui avait toutefois donné un an pour restaurer et protéger les eaux souterraines contre les risques de pollution d’une part, et de respecter les objectifs de réduction des pesticides prévus par les plans Écophyto d’autre part.
Deux condamnations qui, pour les associations, n’ont pas été exécutées. Considérant que la révision des tests de l’Anses est « la condition sine qua non d’une réduction systémique de l’utilisation des pesticides », la coalition d’ONG avait fait appel. L’État avait également demandé la révision du jugement.
Les conclusions de la rapporteure de cette nouvelle audience représentent donc « une très bonne nouvelle » pour les requérant
es. « La biodiversité s’effondre, il faut agir, martèle Dorian Guinard, porte-parole de Biodiversité sous nos pieds. Le droit le permet et l’urgence écologique l’impose ! Et ce n’est pas un recours contre les agriculteur rices », insiste-t-il. Pour les associations, même si la rapporteure s’est concentrée sur les risques sur les espèces non-cibles, elle n’a pas pour autant écarté les autres failles des protocoles actuels, qui pourront être considérées par les juges.« Le règlement européen est protecteur, mais les procédures de l’Anses sont défaillantes, explique Barbara Berardi, responsable du pôle pesticides chez Pollinis. Cela a aussi des conséquences sur la santé humaine et celle des agriculteur
rices. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait. » Mise à part l’absence de tests sur les espèces non-cibles, les requérant es soulèvent plusieurs manquements dans les protocoles : la non-pertinence des espèces testées, la non-prise en compte des effets sublétaux – qui altèrent les fonctions biologiques de manière significative sans pour autant causer la mort – ou encore la non-considération des effets cocktail (l’impact combiné de plusieurs substances).L’État soutenu par un lobby des pesticides
Dans cette affaire, c’est l’État qui est accusé. Pourtant, la représentante du ministère de l’Agriculture, présente au tribunal, n’a pas pris la parole. « Le silence est violent pour les personnes impactées par les pesticides, souffle Justine Ripoll. Ce procès est le miroir de ce qui se passe en France : un gouvernement qui nie ses responsabilités et reprend les arguments des lobbies », accuse-t-elle.
Durant l’audience, c’est l’avocat de Phyteis, une organisation défendant les intérêts des entreprises qui fabriquent ou vendent des pesticides, qui a tenté de faire valoir ses arguments. « Où se situe la faute de l’État ? a-t-il demandé aux juges. Là, on part du principe que l’Anses fait mal son travail, alors qu’aucun élément ne le prouve. Et le règlement européen est l’un des plus stricts au monde ! » D’après lui, les potentiels impacts sur les espèces non-cibles sont liés aux substances actives des pesticides, lesquelles sont en premier lieu autorisées au niveau européen. « C’est donc du ressort de l’Union européenne, pas de celui de l’État, estime-t-il. D’autant plus que ce serait compliqué d’adapter au niveau national un règlement harmonisé partout en Europe. Sur quoi se baserait-on ? Et quels délais auront les entreprises pour s’adapter ? »
Quelques minutes plus tôt, la rapporteure publique avait reconnu un lien de cause à effet entre l’utilisation de pesticides et le déclin de la biodiversité, sur lequel insistent les associations, preuves scientifiques à l’appui. Elle en a ainsi conclu que l’État est coupable d’un préjudice écologique. Là encore, le représentant de Phyteis a fait part de ses doutes : « Il ne faut pas faire de déduction mécanique, avance-t-il. Oui, il est établi que les pesticides jouent un rôle majeur dans le déclin de la biodiversité… mais on ne sait pas dans quelle mesure, car aucune étude ne le quantifie ! »
Objectif : la réduction des pesticides
Seule ombre au tableau pour les associations : les deux fautes retenues en première instance – sur le non-respect de l’objectif de réduction de l’usage de pesticides dans les plans Écophyto et le non-respect de l’obligation de protection de la ressource en eau contre les pesticides – ont été écartées par la rapporteure publique. « On s’y attendait un peu », admet à la sortie du tribunal Justine Ripoll, qui dénonce le « greenwashing » du dernier plan Écophyto. « Mais ce n’est pas grave, parce que ce qui peut changer la donne, c’est les mises à jour des protocoles. »
Cette révision pourrait d’après elle créer un « cercle vertueux », qui empêcherait la mise sur le marché de certains pesticides dangereux et permettrait de développer des alternatives pour les agriculteurla proposition de la loi Duplomb, qui vise au contraire à réintroduire certains pesticides. « Et cela pourrait même avoir un impact européen, se projette-t-elle l’action pourrait être répliquée dans d’autres États. »
rices. Une évolution qui irait à contre-courant deLa cour administrative d’appel prévoit de rendre son jugement dans la première quinzaine de juillet. « Il est fort probable que l’histoire se poursuive en cassation devant le Conseil d’État, avance Dorian Guinard. Car en fonction du délibéré, il y a de grandes chances que soit nous, soit l’État fassions appel. »
Si l’État est condamné, il s’agira de la première condamnation confirmée en appel pour inaction face à l’effondrement de la biodiversité. La France a déjà été condamnée à deux reprises pour inaction climatique en 2021, dans l’affaire de la commune de Grande-Synthe puis celle de l’Affaire du siècle.