Modèle agricole

« Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas autorisé » : les alternatives aux pesticides vues par le gouvernement

Modèle agricole

par Sophie Chapelle

La France peine à réduire l’usage de pesticides et l’usage des préparations à base de plantes reste compliqué pour les agriculteurs. Si la fabrication de purin d’ortie est devenue légale, de nombreuses autres plantes demeurent « non autorisées ».

Officiellement, le gouvernement communique sur la nécessité de réduire les pesticides de synthèse, toxiques pour la santé et l’environnement. Problème : par quoi les remplacer ? « En pratique, il bloque les alternatives », dénonce Jean-François Lyphout, paysan en Dordogne. « Aujourd’hui, si je fais un purin de fougères, j’encours deux ans de prison et 300 000 euros d’amende. Je suis hors-la-loi. » [1].

Jean-François Lyphout produit des purins de plantes qu’il commercialise auprès de jardiniers, agriculteurs ou collectivités locales. Ces dernières n’ont plus le droit d’utiliser des pesticides pour entretenir leurs espaces verts depuis 2017. Or, le purin de fougères, qui favorise l’enracinement des plantes et peut servir d’insectifuge, ne figure pas dans la liste des plantes autorisées par le ministère de l’Agriculture.

Que dit la réglementation ? Voilà plus de dix ans que basta! documente les blocages réglementaires auxquels se heurtent les préparations naturelles dites « peu préoccupantes » (PNPP, voir l’encadré). Depuis juin 2021, la loi prévoit que toutes les plantes ou parties de plantes consommées dans l’alimentation humaine et animale soient autorisées, sous condition du respect d’un cahier des charges.

En vertu de cette réglementation, la consoude ou la prêle – deux plantes vivaces – sont autorisées, sous forme d’extrait fermenté, de décoction, d’huile essentielle, d’infusion ou de macération. Aucune procédure n’est en revanche prévue pour les plantes non alimentaires, comme les feuilles de rhubarbe ou de fougère par exemple, qui ne sont donc toujours pas autorisées. Il en va de même pour les substances minérales (argile) et animales (petit lait), couramment utilisées en biodynamie notamment.

« On ne fait de mal à personne »

« Je suis issue d'une famille de vignerons depuis 1670. Nous avons toujours été en bio, mon père par bon sens paysan et ma mère par souci médical », témoigne Hélène Thibon, vigneronne en Ardèche.
« On fait pas du vivant avec la mort »
« Je suis issue d’une famille de vignerons depuis 1670. Nous avons toujours été en bio, mon père par bon sens paysan et ma mère par souci médical », témoigne Hélène Thibon, vigneronne en Ardèche.
© Julia Klag - Confédération paysanne

Hélène Thibon, vigneronne en Ardèche, se retrouve ainsi dans l’illégalité. Elle utilise beaucoup de tisanes de plantes pour la vigne, en vue notamment de réduire le cuivre et le soufre, mais aussi de substances animales comme la bouse de vaches. « Je continue à être utilisatrice, qu’on y ait droit ou pas. Ramasser mes plantes ne me coûte rien, on est indépendants financièrement. J’en achète aussi chez d’autres producteurs ce qui crée du lien. Peut-être que certains me prennent pour une hurluberlue avec mes tisanes de grand-mère. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne fait de mal à personne. »

« C’est une méthode relativement accessible que ce soit en termes de ressources disponibles, de procédé ou de budget », appuie Sandrine Boirot, maraîchère et productrice de plantes aromatiques et médicinales dans le Rhône. « Ces préparations nous permettent d’être plus résilients, de redonner de l’autonomie, de nous réapproprier des savoir-faire. C’est une alternative efficace aux pesticides et engrais de synthèse. »

« ’’Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas autorisé’’ nous dit le ministère »

Fin novembre 2022, à Villeurbanne, se tenait un colloque coordonné par le syndicat Confédération paysanne pour faire le point sur la réglementation, en présence du ministère de l’Agriculture. Son représentant assure alors que « la préparation, si elle est en conformité avec le cahier des charges, peut être commercialisée ».

Il faut notamment que la plante qui la compose soit consommable par l’homme ou l’animal – « une sorte de présomption d’innocuité », précise le ministère. Avant d’ajouter : « On autorise les purins, les huiles essentielles, les teintures mères... On peut produire de manière assez large des préparations naturelles peu préoccupantes. »

«La possibilité d'utiliser toutes ces préparations doit être autorisée. Ce n'est pas juste une question de paysans, ça concerne tout le monde» estime Jean-François Lyphout, producteur de purins de plantes.
« On est sur des communs, on tient à les défendre »
« La possibilité d’utiliser toutes ces préparations doit être autorisée. Ce n’est pas juste une question de paysans, ça concerne tout le monde », estime Jean-François Lyphout, producteur de purins de plantes.
© Julia Klag - Confédération paysanne

Mais l’assistance s’agite :
 « La feuille de la rhubarbe est consommée par la limace. Et pourtant, vous n’autorisez pas le purin de rhubarbe », interroge un participant.
 « La rhubarbe n’est pas interdite, elle n’est juste pas incluse dans le cahier des charges », répond le représentant du ministère.

Cette position fait bondir Jean-François Lyphout. « Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas autorisé. On fait quoi ? Seule une partie des plantes sont autorisées et toutes les matières, qu’elles soient animales ou minérales, ne le sont pas. On est au Moyen Âge de ce qu’il faudrait autoriser. » Son organisation, l’Aspro-PNPP (Association professionnelle de défense des préparations naturelles peu préoccupantes) a établi une liste de 840 plantes utilisables en métropole qu’elle a transmise au ministère.

« Hors métropole, les possibilités sont énormes, le nombre de plantes utilisables bien plus important. Combien de fois a-t-on été auditionnés au Sénat ? Combien de fois le ministère a-t-il bloqué ? On a un ministère de l’Agriculture gangréné par les lobbys. Il a fallu 15 ans pour en arriver là... Ce qui est sorti c’est ’’peanuts’’  ! »

« Arrêtez de nous demander des tests en permanence ! »

Le cahier des charges demande également d’apporter la preuve de l’effet biostimulant de la préparation, c’est-à-dire sa capacité à stimuler la croissance de la plante. Cette preuve peut être documentée, soit par des savoirs ancestraux, soit par des tests, soit par de la bibliographie scientifique. « Ces essais-là, il faut avoir les moyens de les faire », grince un agriculteur. « Cet essai d’efficacité peut être réalisé chez soi », tient à préciser le ministère : « On n’impose pas de critères de bonnes pratiques de laboratoire. Ce que vous avez sous la main qui montre que c’est un biostimulant suffit. »

La notion de « savoirs ancestraux » agace Guy Kastler, qui milite depuis des années à la Confédération paysanne pour faire légaliser ces préparations. « Moi, je n’ai pas appris mon métier dans les livres. Ces savoirs traditionnels sont oraux, non écrits, et ils évoluent en permanence. On innove tous les jours. Et ce qui marche chez moi ne marche pas nécessairement ailleurs. Ce sont des savoirs locaux. Vous nous demandez des tests. Des test vont marcher chez moi et pas ailleurs. Arrêtez de nous demander de la documentation, des tests en permanence ! Il faut avancer, sinon on va se fossiliser. »

Les huiles essentielles toujours bloquées

La réglementation continue également de freiner les huiles essentielles, comme nous le racontions dans cette enquête. Celles-ci peuvent être utilisées comme préparations naturelles peu préoccupantes, sauf si elles font l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) obtenue par une entreprise.

Or, des AMM ont été déposées par des entreprises sur des produits commerciaux à base d’huile d’essentielle d’orange douce, de menthe verte et de clou de girofle. « Ce sont des huiles essentielles alimentaires, mais on bloque leurs usages », déplore un producteur dans la salle.

« On a quatre dossiers en cours d’évaluation individuelle, dont la menthe des champs qui pourrait être approuvée, répond le ministère. Par principe on ne bloque pas, c’est juste qu’on ne l’a pas dans le cahier des charges. » Une autre manière de dire que ce n’est pas interdit, mais pas autorisé pour autant. Il précise : « Quiconque fait un dossier et le transmet à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation) peut demander une autorisation pour cette substance-là. Le dépôt est gratuit. On peut ensuite l’inscrire à l’annexe du cahier des charges. » Sur le terrain pourtant, les choses ne sont pas si simples.

Une réglementation à deux vitesses

La colère est palpable chez celles et ceux qui veulent sortir des pesticides de synthèse. Jean-Luc Juthier, ancien arboriculteur, évoque « l’usine BASF à deux pas d’ici qui produit encore du Régent [un insecticide accusé de tuer les abeilles, ndlr] alors que c’est interdit. On a une réglementation à double vitesse. » [2] La possibilité accordée aux betteraviers de déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes en 2020 a également laissé des traces.

Loin des couloirs du ministères de l’Agriculture, sur le terrain, les demandes de formation se multiplient et des groupes d’échange se créent. Pour faciliter ces transmissions de savoirs, un site internet verra le jour prochainement, proposant un recueil d’expériences paysannes et d’essais scientifiques.

« La possibilité d’utiliser toutes ces préparations doit être autorisée. On est sur des communs, on tient à les défendre, ce n’est pas juste une question de paysans, ça concerne tout le monde », confie Jean François Lyphout. « Les soins aux plantes par les plantes avec des savoirs plus ou moins anciens, représentent une des alternatives aux pesticides à moindre coût et dans le respect du vivant, appuie Christine Riba de la Confédération paysanne. On a besoin que davantage de gens nous rejoignent contre cette privatisation du vivant. On veut cultiver avec le vivant. »

Sophie Chapelle

photo de une : feuilles de fougères / CC Ametovena Kodjo Elom Ezéchiel