Un « calendrier prévoyant l’élimination progressive des pesticides en commençant par ceux qui présentent un risque pour la biodiversité ou la santé, et le développement d’alternatives ». C’est ce que promettait le candidat Emmanuel Macron, en 2017.
Cinq ans plus tard, les pesticides sont toujours là, leur utilisation n’a quasiment pas baissé et aucun calendrier n’a été établi. Quant aux alternatives, elles peinent à décoller, étant de moins en moins soutenues par les politiques publiques, à commencer par l’agriculture bio.
Entre 2008 et 2018, la quantité de pesticides utilisés en France a bondi de 25 %, malgré le plan Ecophyto mis en place à l’issue du Grenelle de l’environnement : il promettait une diminution de 50 % en 10 ans... Emmanuel Macron n’est évidemment pas responsable de tous ces déboires. Les gouvernements précédents ont largement contribué à l’échec du plan Ecophyto. Mais son mandat commence très mal. En 2018, soit l’année qui suit son élection, le recours aux pesticides connaît une hausse spectaculaire de 24 % par rapport à 2017.
Un recours aux pesticides qui ne diminue pas
L’année suivante, c’est l’inverse, avec une chute de 37 % du recours aux pesticides. L’indicateur pris en compte est le Nodu (pour nombre de doses unités). Il correspond au nombre de traitements appliqués. En 2019, la moyenne est de quatre traitements à l’hectare contre plus de six en 2018. Selon l’association environnementale Générations futures (qui lutte pour une sortie des pesticides), la baisse de 2019 est « en trompe-l’œil car des stocks avaient été faits par des agriculteurs fin 2018 pour éviter une hausse de la redevance sur les pollutions diffuses début 2019 ». Le gouvernement reconnaît cet « effet stock » sur la baisse du Nodu en 2019, et ajoute que « les conditions culturales généralement bonnes cette année-là ont limité le développement des maladies et des populations de ravageurs ».
En 2020, la consommation de pesticides repart à la hausse, avec une augmentation de 23 % des ventes – un chiffre qui cache potentiellement un nombre d’épandages encore plus élevé avec les stock accumulés. Mention spéciale pour le glyphosate dont les quantités écoulées ont grimpé de 42 % en 2020 ! Le Nodu 2020 est malheureusement toujours inconnu. Même les membres du comité d’orientation stratégique et de suivi (COS) du plan national de réduction des pesticides l’ignorent. « Habituellement, nous le connaissons au plus tard en décembre de l’année suivante, soit décembre 2021 pour le Nodu 2020. Là on est en janvier, et on attend toujours », s’étonne François Veillerette, porte-parole de Générations futures. « Le gouvernement ne communique que sur des quantités de substances actives (vendues, ndlr) alors que l’indicateur de référence du plan Ecophyto est le Nodu, qui prend en compte le nombre de doses utilisées…ce qui peut donner des résultats assez différents », prévient l’association.
L’interdiction du glyphosate sans cesse repoussée
En septembre 2017, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner annonce l’interdiction du glyphosate d’ici la fin du quinquennat ; avant de rétropédaler pour évoquer finalement de simples « progrès significatifs » d’ici 2022 pour encadrer les pesticides, dont le glyphosate. Rappelons que le glyphosate – principe actif du Roundup, produit phare de la firme Monsanto – est le désherbant le plus vendu au monde. Il est classé comme cancérigène probable par l’Organisation mondiale de la santé. Depuis juin 2021, en France, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) reconnaît le lien entre ce pesticide et un risque de lymphomes et de myélome.
Fin novembre 2017, Emmanuel Macron évoque de nouveau une interdiction, promise cette fois pour 2020 : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Il se dédit quelques mois plus tard, lors du salon de l’agriculture de février 2018, où il évoque des exceptions à cette interdiction. « Sur le sujet du glyphosate, on le sait, [certains agriculteurs] n’ont pas de solution, ceux-là on leur demande pas de finir en trois ans », explique-t-il.
En mai 2018, le débat parlementaire s’anime avec la discussion de la loi Agriculture et alimentation. Certains députés, dont plusieurs de la majorité présidentielle, bataillent pour que l’interdiction du glyphosate soit inscrite dans la loi. Le gouvernement rejette l’amendement. « Il n’est pas nécessaire que ce soit dans la loi dès lors que nous prenons des engagements, dès lors où nous avons un plan sur les produits phytopharmaceutiques qui est en place. La position du gouvernement est claire », ose le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert dans une interview accordée à France info.
Dernière manche en janvier 2019 : Emmanuel Macron déclare que la France ne parviendra pas à se passer « à 100 % » du glyphosate dans les trois ans. L’année suivante, le pays explose sa consommation, avec 8644 tonnes de glyphosate vendues, soit 40 % de plus qu’en 2019, et la même quantité, à quelques tonnes près, qu’en 2017.
Dérogations en cascade pour contourner l’interdiction des néonicotinoïdes
Autre pesticide, les néonicotinoïdes : cette famille d’insecticides qui agit sur le système nerveux central des insectes est accusée de contribuer à la disparition des pollinisateurs, comme les abeilles. En septembre 2018, ils sont officiellement interdits en France, en vertu de la loi biodiversité adoptée en août 2016, avant l’élection de Macron. Cette loi contient cependant son propre contournement puisqu’elle prévoit la possibilité d’obtenir des dérogations. Les planteurs de betteraves y ont recours régulièrement, et obtiennent toujours satisfaction. « Cette dérogation - temporaire et très encadrée - est la seule solution possible à court terme pour éviter l’effondrement de la filière sucrière en France », justifie Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, en août 2020.
« Les alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave se sont avérées inefficaces pour l’instant. » Un avis sur les néonicotinoïdes publié par l’Anses soulignait pourtant, il y a deux ans, qu’il n’y avait pas d’impasse technique pour cette culture. « Le cœur de la loi de 2016 n’est pas remis en question et l’interdiction reste la règle », estime Barbara Pompili. Peut-être. Mais le fait de demander, et obtenir, une dérogation devient également la règle pour les betteraviers. Le gouvernement s’apprête en effet à autoriser à nouveau l’utilisation de semences de betteraves traitées par des néonicotinoïdes en 2022.
La protection des riverains ignorée
En janvier 2020, suite à la mobilisation de plusieurs élus locaux et d’habitants vivant à proximité de champs traités, le gouvernement annonce les règles à suivre en matière de distances de sécurité pour les épandages de pesticides. Les agriculteurs ont le droit de s’approcher jusqu’à 5 mètres pour les cultures basses comme les céréales et les légumes, 10 mètres pour les cultures hautes comme la vigne ou les arbres fruitiers, et 20 mètres pour les produits « les plus dangereux ». Très attendue par les riverains qui cohabitent avec des agriculteurs, ces nouvelles règles ne tiennent absolument pas compte des résultats de la consultation sur le sujet qui a récolté la contribution record de 53 000 personnes entre le 9 septembre et le 4 octobre 2019. « Les riverains, dont certains témoignent en tant qu’agriculteurs ou issus de famille d’agriculteurs, s’inquiètent pour leur santé : une très large majorité demande des distances réglementaires supérieures voire très supérieures (plus de 150 mètres) à celles proposées, notamment en raison de la crainte liée à la volatilité des produits », cite la synthèse.
En avril 2020 : nouvelle faveur accordée aux utilisateurs de pesticides. 25 préfets autorisent les agriculteurs à s’approcher davantage des habitations. Jusqu’au 30 juin 2020, il sera possible d’épandre des pesticides jusqu’à trois mètres des habitations pour les cultures basses comme les céréales et les légumes, et cinq mètres pour les cultures hautes comme la vigne ou les arbres fruitiers.
Plusieurs associations décident de porter l’affaire devant le Conseil d’État, et obtiennent gain de cause. Le 26 juillet 2021, la haute juridiction ordonne à l’État de mieux protéger les populations riveraines des épandages. Le gouvernement a six mois pour revoir l’encadrement de l’usage de certains pesticide : augmentation des distances minimales d’épandage, mesures de protection des personnes travaillant à proximité des traitements et information des riverains en amont de l’utilisation de ces produits.
Progrès du côté des maladies professionnelles
Le 22 décembre dernier, le ministère de l’Agriculture a signé un décret reconnaissant le cancer de la prostate comme une maladie professionnelle pouvant être liée à l’usage de pesticides. Le plus fréquent des cancers [1] vient ainsi s’ajouter à d’autres maladies professionnelles causées par les pesticides : Parkinson, lymphome non hodgkinien, myélome, deux leucémies... « Les bénéficiaires ne se limitent pas à ceux qui ont été au contact du chlordécone ; tous les pesticides sont concernés, précise le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’ouest, qui se réjouit de cette décision. Cette reconnaissance ouvre droit à une rente pour les malades ou leur ayants droit en cas de décès. Nous regrettons seulement la durée d’exposition minimale retenue de 10 ans au lieu de 5 ans. »
Cette avancé ne vaut malheureusement que pour les cotisants du régime agricole : paysans, salariés de l’agroalimentaire, paysagistes, employés des espaces verts… Or, de nombreux salariés du régime général sont concernés par l’exposition aux pesticides : des dockers aux employés en charge du traitement des eaux, en passant par le secteur du nettoyage, celui des métiers du bois ou encore les professions liées aux soins des animaux, à la fabrication du papier ou à la filière des déchets.
Le soutien à l’agriculture bio en berne
En septembre 2017, le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert annonce que l’État se désengage des aides au maintien de l’agriculture bio pour les réorienter vers les aides à la conversion. Destinée aux agriculteurs installés depuis plus de cinq ans, l’aide au maintien pouvait atteindre 10 000 euros par an. Pour compenser, certaines régions décident de mettre la main au pot, transformant les aides nationales en aides régionales. Toutes les collectivités n’ont pu assumer cette nouvelle charge financière. Dans certaines régions, l’aide est plafonnée. Dans d’autres, elle est supprimée.
En 2021, nouvelle attaque contre le bio. Le gouvernement dévoile sa copie sur la politique agricole commune – la PAC, en partie négociée au niveau européen – qui entrera en vigueur en 2023 et s’étendra jusqu’en 2027. Il prévoit une taille sévère dans les aides versées à celles et ceux qui cultivent sans pesticides et sans engrais de synthèse : ils pourraient perdre près de 70 % de leurs subventions. Les aides au maintien ne sont pas réhabilitées. Un éco-régime est mis en place. La Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), qui regroupe les acteurs de la filière, découvre avec surprise, le 21 mai dernier, que l’agriculture biologique bénéficiera des mêmes aides que l’agriculture certifiée « haute valeur environnementale » (HVE), qui autorise l’usage de pesticides et d’engrais de synthèse.
Le label HVE n’apporte aucun bénéfice environnemental. Le gouvernement s’est engagé sur des aides à la conversion. La Fnab craint que ces conversions ne ralentissent, si ensuite les perspectives sont défavorables. Certains pourraient même revenir en conventionnel. Fin 2020, 12 % des fermes françaises sont en bio, ce qui représente 9,5 % de la surface agricole utile (SAU) ; soit trois points de plus qu’en 2017 (6,5 % de la SAU), contre plus de 16 % en Italie, 20 % en Suède ou 26 % en Autriche.
Globalement, les financements publics ne concourent pas à la diminution de l’usage des pesticides. Au contraire. Une enquête menée pendant un an par le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne) révèle que, sur les 23,2 milliards d’euros que perçoivent chaque année les acteurs de l’alimentation (agriculteurs mais aussi entreprises agro-alimentaires et coopératives agricoles), seulement 11 % ont pour intention de répondre à l’objectif de réduction des pesticides.
Pire : seulement 1 % de ces financements y contribue véritablement. Autrement dit : 89 % du soutien financier public favorise des modes d’exploitation qui utilisent ces produits chimiques, dont plusieurs sont classés cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Durant le mandat de Emmanuel Macron, rien n’a été fait pour inverser cette tendance.
Nolwenn Weiler
Infographies : Guillaume Seyral
Illustration : CC CGP Grey