Vieillir ensemble « sans avoir peur d’être discriminé » : une maison pour seniors LGBTQI+

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Une « maison de la diversité » pour les seniors LGBTQI+ et leurs alliées hétéros vient d’ouvrir ses portes à Lyon. Un immeuble participatif pour personnes âgées isolées sans soutien familial. Et un endroit sûr pour être vraiment soi avec fierté.

par Marc Bouchage

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« Je vis des moments magiques et humains très forts. On se prend dans les bras, on pleure ensemble. » Christophe Dercamp est ému quand arrivent les premieres cohabitantes de la Maison de la diversité, immeuble participatif et inclusif qui vient d’ouvrir à Lyon. L’emménagement est pour Christophe un « aboutissement ».

« Si on m’avait dit il y a un an que j’aurais un groupe aussi complet et complémentaire, je ne l’aurais pas cru. Tout le monde s’aide pour emménager », observe le quadragénaire qui porte ce projet depuis cinq ans en tant que coordinateur national de l’association Les Audacieuses & les audacieux. L’organisation agit pour le bien vieillir des seniors sans soutien familial, des seniors LGBTQI+ (lesbiennes, gays, bies, trans, en questionnement ou queers, intersexuées, ou vivant avec le VIH).

Depuis plusieurs jours déjà, les camions de déménagement se succèdent devant l’immeuble de cinq étages situé juste derrière le théâtre de la Croix-Rousse. Toutes les affaires d’Alice sont en train d’être déchargées grâce à l’aide de bénévoles venues prêter main forte. « Il va encore falloir faire du tri », plaisante la chanteuse et couturière de 56 ans en voyant les cartons s’empiler dans son T1 neuf de 24m2.

Un lieu de protection

Alice compare son arrivée à un « conte de Noël » et n’en revient toujours pas d’être là. « J’ai eu les larmes aux yeux en arrivant tout à l’heure à proximité de la maison. Quasiment jusqu’à la fin, je m’attendais à recevoir un coup de téléphone et qu’on me dise : “Tu as fait un joli rêve mais tu vas rester à Mâcon”. » 

Alice dans une pièce aux murs blancs, accoudée au mur. Des cartons sont empilés derrière elle.
Alice, dans son nouvel appartement de 24m2 dans la Maison de la diversité.
©Marc Bouchage

C’est dans cette ville du sud de la Bourgogne qu’Alice a vécu ces quinze dernières années et qu’elle a débuté sa vie de femme trans, il y a six ans. « Je m’en vais au moment où ma vie commençait à vraiment me plaire. Mais c’est très bien comme ça, même si je suis triste de quitter mes copines. » La fin d’été passée à Mâcon l’a confortée dans son choix de partir. « En août, j’ai été insultée au moins une fois par semaine, ou j’ai subi des comportements transphobes de la part d’hommes quand je sortais dans la rue. »

Ces insultes viennent s’ajouter aux agressions physiques subies par le passé. « J’ai été agressée trois fois. Les deux premières, c’était une grosse gifle. La troisième, c’était un peu plus sérieux, témoigne Alice. Un mec a commencé par mal me parler et me dire que j’étais un “travelo” ou je ne sais plus quoi. Je lui ai répondu, mais je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase qu’il s’était déjà jeté sur moi. Je me suis défendue. »

Intégrer cette maison, avec d’autres personnes qui font partie de la même communauté, est pour elle synonyme de « protection ». Alice se réjouit de pouvoir vivre à Lyon où il existe une vie LGBTQI+ qu’elle n’a pas trouvée à Mâcon.

Vue du bâtiment en contreplongée. Deux personnes se trouvent à un balcon.
La Maison de la diversité est composée de quinze appartements en location et de plus de 300 m2 d’espaces de vie partagés.
©Marc Bouchage

Treize autres personnes de plus de 55 ans, et un jeune, ont fait leur entrée dans le nouveau bâtiment lyonnais : Sylvain, Thierry, Danielle ou encore Pascale, Muriel, François… Certaines ont dépassé les 70 ans, d’autres n’ont pas encore atteint les 60. Il y a une aide-soignante, un danseur à la retraite, une cheffe de pub, un animateur… Et une ancienne assistante sociale : Gisèle.

Elle se définit comme « une nomade, voyageuse, combattante et errante », et a eu le sentiment d’avoir été « invisible et transparente » toute sa vie. « J’étais là et personne ne s’adressait à moi. J’étais dans une solitude et un repli en moi-même, comme une prison. » À 63 ans, elle déclare avoir enfin trouvé son « lieu d’enracinement » avec la Maison de la diversité.

« J’ai pu exprimer ce que j’étais, à 63 ans »

Les échanges qui ont eu lieu au sein du groupe de cohabitantes avant son emménagement ont agi comme un révélateur. « Pour la première fois, j’ai pu exprimer ce que j’étais, à 63 ans. C’est dingue ! C’est d’ailleurs la première fois que je me retrouvais avec des homos », sourit celle qui a passé son enfance dans un petit village des monts du Forez, dans la Loire, et qui s’identifie aujourd’hui comme lesbienne, « ou même queer pour garder l’idée de fluidité »

Après un travail intérieur et 24 ans passés avec le père de ses enfants, Gisèle a pris la décision de divorcer, juste avant la pandémie de Covid. En cherchant un logement social grâce à l’aide de son ex-mari, elle a fini par arriver jusqu’à Lyon et tomber sur la Maison. Le projet de vie sociale et partagée proposé l’a immédiatement intéressée, car « aucun sujet n’est mis sous le tapis, que ce soit concernant la fin de vie, la perte d’autonomie ou la gestion des conflits, explique-t-elle. Si la chance continue de me sourire, je vais peut-être même enfin avoir une relation privilégiée avec une femme avant de mourir. Ce serait la cerise sur le gâteau. »

Deux femmes regardent l'objectif en souriant
Gisèle (à gauche), ancienne assistante sociale, aux côtés de Catherine, comédienne en metteuse et scène.
©Marc Bouchage

En plus de leur logement, les cohabitantes peuvent profiter de 300 mètres carrés d’espaces de vie partagés, avec un jardin, une cuisine, une buanderie, un salon et un local à vélo. Aux côtés de l’association Les Audacieuses & les audacieux, la Maison de la diversité est aussi portée par Croix-Rouge habitat, et a reçu le soutien du centre communal d’action sociale de la ville de Lyon, qui a offert le foncier. La métropole de Lyon finance, via la prestation sociale d’aide à la vie partagée, le poste de responsable chargé de coordonner la vie collective dans la maison.

Le lieu est également ouvert aux alliées hétéros qui ne font pas partie de la communauté LGBTQI+ mais la soutiennent, comme Roseline. Ancienne responsable d’une association engagée dans le social, la Normande d’origine s’est installée il y a trois ans dans la capitale des Gaules, où vit sa fille. Elle ne connaissait pas grand monde à Lyon avant de découvrir l’association des Audacieuses dont elle partage les valeurs. « Je me sentais un peu seule, explique la septuagénaire. Quand j’ai entendu parler de ce projet de maison, j’ai trouvé ça super. » 

Roseline a tout de suite été appréciée par Catherine, sa voisine de palier au deuxième étage du bâtiment. « C’est quelqu’un de formidable avec qui je m’entends très bien. Elle n’est pas du tout homo mais elle fait partie de nous », s’enthousiasme la comédienne et metteuse en scène de 68 ans qui fait son retour à Lyon après plusieurs années passées à Saint-Étienne. Catherine a fini par candidater après le décès de sa mère l’hiver dernier. Elle voulait se prémunir de l’isolement qui touche les seniors.

Ne pas craindre de discriminations

« Un facteur aggravant de la perte d’autonomie, c’est l’isolement social », alerte Christophe Dercamp qui, dans une vie passée, a été élu en charge des personnes âgées à Lyon. La maison multigénérationnelle étant non médicalisée, la solidarité est ici aussi un moyen de retarder au maximum la perte d’autonomie.

« Il faut imaginer cette maison comme un endroit basé sur l’entraide, une sorte de cocon où les seniors peuvent compter sur leur voisine sans avoir peur d’être jugée, stigmatisée ou discriminée, y compris les personnes qui vivent avec le VIH. La sérophobie [le fait de rejeter et de discriminer les personnes séropositives, ndlr] est un fléau dans la société, y compris au sein de notre communauté », regrette-t-il. Avant d’ajouter : « La Maison de la diversité accueille tout le monde, sauf celles et ceux qui excluent. »

Alice et Benjamin côte à côte, souriants.
Alice et Benjamin, lors de la visite de fin de chantier de la Maison de la diversité, le 15 juillet 2025.
©Marc Bouchage

Le lieu s’inspire du « Lebensort Vielfalt » (« Lieu de vie diversité ») ouvert à Berlin en 2013. « On nous accuse parfois d’être un ghetto, regrette Christophe Dercamp. Mais curieusement, les gens emploient ce terme uniquement quand il s’agit de personnes LGBTQI+. Jamais pour qualifier les résidences seniors à plusieurs milliers d’euros dans les quartiers chics de Paris ou les établissements catholiques », répond-il.

L’entraide est, dans cet espace, d’autant plus importante que beaucoup de seniors LGBTQI+ « n’ont pas d’enfants et peu d’aidants naturels », comme le rappellent Les Audacieuses et les audacieux sur leur site Internet.

Ces générations-là ont également été confrontées à des situations difficiles. « Certaines ont connu la pénalisation de l’homosexualité avec des discriminations, des rejets, des coming out qui se sont mal passés, souligne Christophe Dercamp qui a été marié avec un homme pendant plusieurs années. On a aujourd’hui des seniors dans notre association qui n’ont pas encore dit à leur entourage qu’ils étaient gays, lesbiennes et qui parfois se considèrent comme “anormales”. Ce sont ces personnes-là qu’on a envie d’accompagner. » 

Benjamin, le tout dernier à avoir posé ses cartons dans la maison, a connu de près ces situations compliquées : la perte de proches durant les années Sida, et surtout le suicide de l’un de ses premiers petits copains, Fabien, victime de l’homophobie. C’était en 1993. « Ce sont des vies qui ne sont quand même pas simples », lâche celui qui a fêté cette année ses 57 ans.
 
Cette maison représente pour lui un véritable « luxe » : celui de ne « pas craindre de discriminations » et d’avoir des voisines « avec qui partager cette appartenance à la communauté LGBTQI+, dans la diversité »

Une affiche sur un poteau sur laquelle il est écrit en blanc sur fond vert « Pépé, pédé, pro du potager »
L’une des affiches de la campagne de communication lancée pour annoncer l’ouverture de la Maison de la diversité.
©Marc Bouchage

Bientôt de nouvelles maisons en France

À peine ouverte, la maison de Lyon affiche déjà complet. Les quinze appartements ont tous été attribués. Mission accomplie pour Christophe Dercamp qui anticipe déjà un « baby blues » après s’être « levé et couché en pensant Maison de la diversité » pendant toutes ces années. Il devrait néanmoins reprendre du service très vite, car une deuxième maison de la diversité devrait voir le jour du côté de Strasbourg. D’autres projets sont à l’étude à Nancy, Toulouse, Vence (Alpes-Maritimes) et Saint-Denis.

Au-delà des projets portés par Les Audacieuses et les audacieux, Christophe Dercamp espère que le savoir-faire accumulé pourra également inspirer en dehors de la communauté LGBTQI+. « Je l’ai dit aux prestataires qui ont travaillé sur ce projet, vous avez construit le premier habitat pour seniors LGBTQI+, mais vous avez surtout construit le premier habitat inclusif et participatif. Donc maintenant, vous saurez faire si d’autres personnes vous le demandent. Par exemple, si d’anciennes salariées d’un secteur d’activité souhaitent vieillir ensemble… »