Depuis la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre l’an dernier, la question de la dette est au cœur du débat public. Dès octobre 2024, le locataire de Matignon présentait un plan d’économies de 60 milliards d’euros pour le budget 2025. Censuré en fin d’année, Michel Barnier a été remplacé par François Bayrou. Et son plan d’austérité de 60 milliards, remplacé par un budget, adopté par 49-3 à l’Assemblée nationale, prévoyant 50 milliards d’euros de redressement des comptes publics.
Pour le budget 2026, François Bayrou remet le couvert, annonçant 43,8 milliards d’économies et des coupes à venir chaque année jusqu’à 2029. Objectif : réduire le déficit budgétaire pour qu’il passe sous la barre des 3 % du PIB dans quatre ans, et éviter que des déficits incontrôlés ne viennent, chaque année, creuser encore davantage la dette accumulée. Si les jours du Premier ministre sont désormais comptés, le débat sur la dette publique lui survivra. D’où la nécessité d’apporter quelques éléments de repère pour éclairer ce débat.
Deux décennies de dramatisation
Le débat sur la dette dure depuis au moins deux décennies. Qui a déclaré « Je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite sur le plan financier » ? Il s’agit de François Fillon en 2007. Il était alors Premier ministre et s’apprêtait à proposer un plan d’économies de 6 à 7 milliards d’euros quelques mois plus tard. Toujours dans le registre des formules choc, Dominique de Villepin écrivait en 2012, dans son livre programme pour l’élection présidentielle, que « chaque enfant naît aujourd’hui avec une dette théorique de 30 000 euros qu’il aura à rembourser pour le compte de l’État au cours de sa vie ». Il proposait alors de travailler davantage en mettant fin aux 35 heures en plus d’instaurer l’inégalitaire TVA sociale (la Sécurité sociale étant en partie financée par une hausse de la TVA, donc des prix des biens de consommation).
Les citations alarmistes à propos des comptes publics n’ont depuis fait que se multiplier. François Bayrou et les membres de son gouvernement n’ont pas dérogé à cette tradition qui consiste à noircir le tableau pour justifier des mesures extrêmement impopulaires. Ainsi, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a déclaré qu’il ne pouvait pas « affirmer que le risque d’une intervention de l’institution internationale n’existe pas » dans le but de prendre des mesures d’économie, même si l’hypothèse d’une intervention du Fonds monétaire international (FMI), à l’image de ce qui s’était produit en Grèce, n’est pas d’actualité. Il s’agit plus de susciter la peur que d’éclaircir la compréhension des débats sur la dette et les finances publiques.
La mauvaise comparaison entre État et ménage endetté
En plus d’agiter le spectre d’une intervention du FMI, le gouvernement n’a eu de cesse de comparer l’endettement de l’État à celui de ménages surendettés. Un contresens pour Éric Heyer, directeur de département à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), à l’unisson des économistes qui se sont exprimés sur ce sujet. Il rappelle dans une interview au journal 20 minutes que « l’État est immortel, contrairement à un ménage », et qu’il possède donc « l’éternité pour rembourser, pouvant emprunter pendant des siècles ».
Dans la pratique, les États remboursent rarement leurs dettes. Ils la font rouler. C’est-à-dire qu’ils émettent des titres d’emprunt qui servent à rembourser d’autres titres d’emprunt arrivant à échéance. Ce que ne peuvent pas faire les ménages. De plus, ces derniers ne peuvent pas décider d’augmenter leurs revenus du jour au lendemain, ce que les États peuvent faire, par l’impôt par exemple.
La dette laissée aux générations futures n’est pas financière
Lors de sa conférence de presse du 25 août, le Premier ministre a joué sur la corde sensible en expliquant qu’il ne voulait pas « laisser un monde écrasé de dettes » à nos enfants. En réalité, les dettes d’aujourd’hui ne seront pas obligatoirement les dettes des générations futures – contrairement à la dette écologique.
La moyenne des titres émis à moyen et long terme est de 9 ans et 8 mois (en juillet 2025, selon l’Agence France Trésor, organisme chargé de lever la dette française auprès des investisseurs). La proportion des titres émis ayant une durée égale ou supérieure à 30 ans est en réalité faible (entre 10 et 15 % selon les années). Cela signifie que ce sont surtout les générations d’aujourd’hui qui en sont comptables.
Les actifs financiers de l’État supérieurs à sa dette
Si l’argument d’une dette léguée à nos enfants est trompeur, c’est aussi un mensonge par omission. Si l’on souhaite s’aventurer sur le terrain d’un legs pour les générations futures, à propos de la situation financière de l’État, on ne peut se contenter du passif. Car en face des dettes, il y a des actifs. Les générations futures bénéficieront d’écoles, d’hôpitaux, de structures énergétiques, de transport, etc. De plus, l’État est propriétaire d’un bâti important et détient des parts dans un certain nombre d’entreprises.
« Il y a des actifs financiers : stocks d’or, participations dans le privé (EDF, Orange…), des entreprises publiques. Et il y a des actifs non financiers : le patrimoine historique (tour Eiffel, Joconde, Élysée, etc.) n’est pas pris en compte mais il y a de l’immobilier, des routes... », décrit l’économiste Éric Heyer dans un entretien à Midi Libre. Aujourd’hui, malgré la dette, « chaque Français naît avec 10 782 euros en positif », précise-t-il. Fin 2023, le patrimoine net des administrations publiques, c’est-à-dire les actifs moins les dettes, s’élevait à 786 milliards d’euros, selon les données de l’Insee. Chaque enfant français ne naît donc pas avec un passif de 30 à 40 000 euros à rembourser.
Les dépenses publiques stagnent, les recettes baissent
Avec son budget adopté en début d’année, le gouvernement tablait sur un déficit contenu à 5,4 % du PIB en 2025. Et souhaite ramener celui-ci en dessous de la barre des 3 % en 2029. Dans le viseur de ses mesures : d’abord et principalement les dépenses publiques, accusées de creuser le déficit.
Pourtant, celles-ci n’ont pas réellement augmenté depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron, en proportion de la richesse produite en une année (le PIB). Selon les données de l’Insee, les dépenses publiques représentaient 57,7 % du PIB en 2017 et 57,3 % en 2024, donc un peu moins. En revanche, les recettes ont nettement baissé pendant ses huit années de pouvoir. En 2017, elles constituaient 54,3 % du PIB, contre 51,4 % en 2024 (-2,9 points). Or, 2,9 points de PIB représentent près de 85 milliards d’euros. Soit plus de la moitié du déficit de l’État cette année-là.
L’augmentation des déficits budgétaires est donc inséparable de la politique du président de la République. Celle-ci a favorisé les entreprises et les hauts patrimoines en expliquant que leur prospérité ruissèlerait sur l’ensemble de la société. Cette politique s’est traduite notamment par la suppression de l’ISF, la baisse de l’impôt sur les sociétés et sur la production, ainsi que par des aides diverses aux entreprises (subventions, exonérations ou allègements de cotisations sociales ou d’impôts) que le Sénat chiffre à 211 milliards par an, quasiment sans aucune condition, en termes de création d’emplois par exemple.
« Parmi les pays de l’OCDE, nous sommes aujourd’hui l’un de ceux qui soutiennent le plus, financièrement, leur économie marchande. C’est cette dépense publique qui a explosé ces dernières années : entre 1979 et aujourd’hui, elle est passée de 3,1 % à 6,2 % du PIB », pointait Lucie Castets, ancienne candidate du Nouveau Front populaire au poste de Première ministre .
Une charge de la dette insoutenable ?
Reste la charge de la dette : c’est l’ensemble des dépenses consacrées au paiement des intérêts de la dette. Son augmentation est soit imputable à une dette qui augmente, soit à des taux d’intérêt qui montent. Où aux deux facteurs à la fois. Évidemment, une augmentation de la charge de la dette rend les remboursements de la dette plus difficiles et pèse sur les budgets de l’État. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui, puisque le volume de la dette de l’État augmente (3 345 milliards d’euros) en même temps que les taux d’intérêt remontent, après des années de taux particulièrement bas.
Cela valide-t-il pour autant les discours catastrophiques ? Pas entièrement. Certes, les intérêts de la dette dépassent les 50 milliards en volume en 2025, mais là encore, rapportés au PIB, ils restent inférieurs à 2 % de celui-ci. Une proportion similaire à il y a dix ans. Et même moindre que dans les années 1990 ou les années 2000.
Il ne s’agit pas pour autant de dire qu’il n’y a aucun risque, dans la mesure où les dettes sont contractées sur les marchés financiers. Évidemment, ceux-ci peuvent spéculer sur la dette des États et provoquer un emballement des taux d’intérêt applicables aux titres à venir. Pire, l’irrationalité qui les caractérise peut précipiter des crises, puisque la confiance des créanciers détermine le niveau des taux d’intérêt, bien plus que la solidité économique réelle d’un pays.
L’austérité, le chaos ou faire contribuer les plus riches ?
François Bayrou n’a eu de cesse de le répéter depuis la mi-juillet : sans son plan d’économies de 43,8 milliards d’euros, la France s’enfoncera dans le chaos. Il persiste à assurer qu’il n’y a pas d’alternative. Ce n’est pas ce que pense le Parti socialiste qui se dit prêt à gouverner et a présenté la semaine dernière une proposition de budget prévoyant 21,7 milliards d’euros de réduction des déficits. Celle-ci prévoit 14 milliards de baisse des dépenses et 27 milliards de recettes nouvelles, dont la taxe Zucman, un prélèvement de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros. Les écologistes ont également proposé un « plan de sortie de crise » assez proche de celui des socialistes.
Les groupes parlementaires ne sont pas les seuls à travailler à des propositions alternatives. Huit syndicats de salariés pointent ce problème de recettes. Ils réclament ainsi des « dispositifs qui taxent les gros patrimoines et les très hauts revenus, contraignent le versement des dividendes et conditionnent fortement les aides aux entreprises » pour un autre partage des richesses. De leur côté, cinq économistes membres de l’association Attac ont signé une tribune parue dans Le Monde appelant de leurs vœux « la sortie de la dette publique de l’emprise des marchés ». Pour y parvenir, ils proposent de créer « un pôle bancaire public » qui « garantira la stabilité du financement ».
Avec la chute quasi certaine de François Bayrou ce 8 septembre, des mouvements sociaux programmés au mois de septembre et les projets de loi de finances qui s’annoncent au parlement, les débats autour de la dette, des déficits budgétaires et des mesures politiques pour y remédier sont loin d’être clos.