Huit chapitres, des centaines de mesures… La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) a présenté son programme commun d’union de la gauche le 19 mai. Un « programme partagé de gouvernement » dans la perspective d’une possible majorité de l’union des gauches après les législatives des 12 et 19 juin. La France insoumise, le Parti socialiste, les Verts, le Parti communiste et Générations se sont mis d’accord sur une série de propositions, et écrit mis noir sur blanc leurs désaccord sur plusieurs sujets.
Assurance-chômage : cesser les radiations à tout-va
La Nupes rejette la réforme de l’assurance chômage d’Emmanuel Macron, qui réduit l’indemnisation de nombreux chômeurs. Au contraire, le programme des gauche veut indemniser les chômeurs dès le premier jour de la fin de contrat, supprimer l’obligation d’accepter une soi-disant « offre raisonnable d’emploi », cesser la radiation des demandeurs d’emploi indemnisés à la première absence à un rendez-vous et « en finir avec la logique de radiation au moindre prétexte pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage ».
Par ailleurs, la Nupes souhaite mettre ne place une « garantie d’emploi » : « Tout chômeur de longue durée pourra se voir proposer un emploi utile », « rémunéré au moins au SMIC, financé par l’État et cohérent avec ses qualifications, son parcours professionnel et ses souhaits », ou « suivre une formation qualifiante prise en charge à 100 % ».
Vie au travail : vers la semaine de 32 heures
Parmi les propositions du programme contre la souffrance au travail, sont listées : la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle qui n’est pour l’instant que reconnu au cas par cas et si ses conséquences pour le salarié sont très graves [1], le doublement des effectifs de l’inspection du travail, qui compte actuellement 1800 inspecteurs et agents de contrôle, « soit un pour 1000 entreprises et 10 000 salariés », selon la CGT ; restaurer les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), supprimés par Emmanuel Macron.
La Nupes propose également de « créer un droit de préemption pour permettre aux salariés de reprendre leur entreprise sous la forme d’une coopérative », de donner plus de pouvoir aux salariés lors des procédures de redressement et de liquidation d’entreprise, d’accorder aux comités d’entreprise un droit de veto suspensif sur les plans de licenciements. La Nupes envisage aussi de rétablir la durée effective hebdomadaire du travail à 35 heures (les équivalents temps plein travaillent, en moyenne, plus de 40h par semaine), par la majoration des heures supplémentaires ; passer immédiatement aux 32 heures dans les métiers pénibles ou de nuit – Un tiers des salariés sont exposés aux postures pénibles ou fatigantes durant le travail – et leur généralisation par la négociation collective ; remettre en cause les autorisations de travail le dimanche.
Retraites : taux plein à 60 ans
La Nupes reprend le programme de Jean-Luc Mélenchon de la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous « après quarante annuités de cotisation ». Elle veut aussi rétablir la prise en compte des facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron, prendre en compte le RSA pour valider des trimestres en vue de la retraite.
Transition énergétique : divergences sur le nucléaire
Le programme dit vouloir « planifier le passage à 100 % d’énergies renouvelables et la sortie du nucléaire », et abandonner les projets de réacteurs nucléaires EPR. La Nupes refuse par ailleurs la libéralisation du marché de l’électricité et du gaz. Elle veut stopper la privatisation des barrages hydroélectriques, créer un pôle public de l’énergie incluant EDF et Engie, qui seraient renationalisé, « ainsi que des coopératives locales ». Le programme commun ambitionne de rénover 700 000 logements par an pour les rendre moins consommateurs d’énergie, contre, actuellement, quelques dizaines de milliers de rénovation avec réelle efficacité énergétique.
Sur la politique énergétique, plusieurs désaccords sont exprimés. Sur le nucléaire, « le Parti communiste français proposera une trajectoire qui combine les énergies renouvelables à l’énergie nucléaire et ne s’associera pas à l’objectif 100 % renouvelables et à l’abandon des projets d’EPR ». Par ailleurs, Le Parti socialiste et Europe Écologie-Les Verts ne soutiennent pas la renationalisation d’Engie.
Agriculture : sortie progressive des pesticides
La Nupes veut « refondre la politique agricole commune (PAC) », en réorientant les aides vers « les exploitations intensives en main-d’œuvre » – celles qui emploient davantage de travailleurs plutôt que de recourir intensivement à la mécanisation et aux produits chimiques – et l’agriculture écologique et paysanne, avec l’objectif d’atteindre 30 % de la surface agricole utile en agriculture biologique en 2030 (à peine 10 % actuellement selon l’Agence bio) et 100 % en 2050. Le programme entend luttercontre l’artificialisation des sols « pour empêcher la disparition de surfaces agricoles utiles ». Sans donner de calendrier précis, le programme dit vouloir « planifier la sortie progressive des engrais et de pesticides de synthèse », et interdire immédiatement le glyphosate et les néonicotinoïdes.
Droit au logement : baisser et encadrer les loyers
C’est un autre sujet crucial, qui pèse sur les revenus des ménages, et qui reste un impensé du nouveau gouvernement, sans ministère dédié. Le programme commun veut interdire les expulsions locatives sans proposition de relogement public, mettre en place une garantie universelle des loyers créant un filet de sécurité contre les impayés de loyers pour les locataires, comme pour les propriétaires ; encadrer les loyers partout sur le territoire et à la baisse dans les grandes villes ; construire 200 000 logements « publics » par an pendant cinq ans (contre environ 80 000 mis en chantier actuellement) ; relever le seuil minimal de logements sociaux par commune à 30 %, et augmenter les sanctions contre les communes hors la loi. La Nupes entend également « utiliser le droit de réquisition » (qui existe dans la loi depuis 1945 mais n’est jamais utilisé par l’Etat) pour lutter contre les logements vacants et les remettre en location.
Santé : rouvrir les services d’urgence
Alors que les services d’urgences et les lits d’hôpitaux ferment partout, le programme promeut la réouverture des services d’urgences, des maternités et des Ehpad publics « assurant un service de santé public de proximité à moins de trente minutes de chaque Français » ; revaloriser les métiers et les revenus et augmenter les capacités d’accueil des établissements de santé publics, notamment les hôpitaux. Contre les déserts médicaux, il est proposé : la création de centres de santé publics, des coopératives médicales, un conventionnement sélectif (limiter l’installation de nouveaux médecins dans les zones déjà largement dotées), des obligations temporaire d’installation.
Enseignement supérieur : supprimer Parcoursup
Sur les universités et l’accès aux études supérieurs, les mesures envisagées sont : la suppression de la sélection à l’université aggravée par Parcoursup ; la création de nouvelles places d’études en particulier en première année et dans les formations courtes ; abroger l’augmentation des frais d’inscription décidée par Emmanuel Macron pour les étudiants étrangers ; recrutement de 30 000 personnels statutaires dans l’enseignement supérieur et la recherche en cinq ans ; titularisation des personnels précaires qui effectuent des missions pérennes ; abrogation de la dernière loi de programmation de la recherche qui prévoyait plus d’emplois précaires dans les universités ; construction de 15 000 logements étudiants supplémentaires par an.
Réformes des institutions : vers une 6e république
Dans l’optique d’éventuellement gouverner, mais en coalition avec le président Macron, le programme de la Nupes veut renforcer les pouvoirs du Parlement face au président. Et passer à la 6e République, « qui soit un régime parlementaire stable », avec une nouvelle constitution adoptée par référendum, pour « en finir avec la monarchie présidentielle ». Ainsi, la Nupes propose d’abolir « les procédures qui brident les droits du Parlement », comme l’article 49.3 qui permet au gouvernement de passer des lois sans vote.
Le programme des gauche entend par ailleurs renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement notamment sur les opérations militaires extérieures. Parmi les autres propositions : instaurer le référendum d’initiative citoyenne (RIC), droit de vote à 16 ans, reconnaissance du vote blanc, droit de vote des résidents étrangers aux élections locales ; une procédure de parrainages citoyens pour l’élection présidentielle en alternative aux 500 parrainages d’élus. En outre, la Nupes amnistiera les « citoyens, syndicalistes, militants écologistes, politiques, associatifs et Gilets jaunes » qui ont été condamné pour avoir « exercé leur droit de manifester ».
Changer la police
Après un quinquennat où la questions des pratiques et violences policières ont régulièrement fait les gros titres, la Nupes veut aussi réformer la police : interdire les armes mutilantes, les techniques d’immobilisation létales et la technique de la « nasse » ; rétablir la police de proximité ; supprimer les primes aux résultats « qui encouragent la politique du chiffre » ; abroger la loi Sécurité globale ; remplacer l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) par une « autorité indépendante incluant des magistrats, des universitaires, des citoyens ».
International : divisions sur l’Europe et l’Otan
C’est le domaine où les désaccords entre les différents partis de la Nupes sont les plus nombreux. Sur l’Union européenne, « nous partageons l’objectif commun de mettre fin au cours libéral et productiviste de l’Union européenne et de construire un nouveau projet au service de la bifurcation écologique, démocratique et solidaire, même si nos histoires avec la construction européenne diffèrent », dit le programme. Mais alors que la France insoumise et le Parti communiste se disent « héritiers du non de gauche au Traité constitutionnel européen en 2005 », le PS « est attaché à la construction européenne et ses acquis », et EELV « historiquement favorable à la construction d’une Europe fédérale ». Les partis se sont cependant mis d’accord pour « mener les batailles au sein du Conseil de l’Union européenne » pour « constituer des alliances pour obtenir des majorités sur des textes favorisant le progrès social et écologique, former des minorités de blocages sur des textes qui y sont contraires, opposer notre droit de veto aux accords de libre-échange ».
Sur l’invasion russe en Ukraine, le programme affirme « défendre la souveraineté et la liberté de l’Ukraine et du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières, dans un contexte international de tensions et de guerre sur le continent européen et face aux crimes de guerre décidés par Vladimir Poutine ». Sur l’Otan, LFI demande toujours « le retrait immédiat de la France du commandement intégré de l’Otan puis, par étapes, de l’organisation elle-même ». La demande est soutenu par les communistes, qui veulent même la « dissolution » de l’Otan.
Le PS et EELV quant à eux, « soutiendront le renforcement de la coopération militaire au niveau de l’Union européenne, la création d’un commandement militaire opérationnel européen, ainsi que l’intensification des livraisons d’armes à l’Ukraine et la mise en place d’un embargo total et immédiat sur les importations russes de pétrole, de charbon, de combustible nucléaire et de gaz. » Ces dissensions seront à discuter au sein du Parlement, dit le programme. La Nupes assure n’avoir « rien voulu cacher » sur les désaccords. Reste à voir si ce grand chantier de réflexion sur la politique internationale de la France, ses principes fondateurs, ses alliances et les moyens de sa défense, sera sérieusement ouvert.