Rétrospective 2008-2023 : 15 enquêtes emblématiques de Basta!

par Rédaction

L’investigation est un pilier de notre journalisme. Notre indépendance permet de nous attaquer à de puissants lobbys industriels, politiques ou encore corporatifs. Mais aussi de viser les travers de la machine d’Etat. La preuve en 15 enquêtes.

Agro-industrie

Juillet 2015 / Les coulisses du phosphate : un désastre environnemental en Tunisie
 La malédiction des phosphates : dans les coulisses polluées et désertifiées de l’agriculture chimique
Comment avons-nous suivi ces sujets ?
C’est un des thèmes sur lequel nous avons produit le plus d’enquêtes. La sélection a donc été très compliquée. L’expertise accumulée au sein de la rédaction nous a d’ailleurs conduits à lancer une newsletter dédiée à ces sujets en juin 2023 : « On en Agro ». Chaque mois, nous proposons de décrypter les collusions à l’œuvre entre les plus hautes instances de l’État et l’industrie agroalimentaire. Et de mettre en lumière les nombreuses initiatives qui dessinent un autre modèle.

Notre impact
Notre travail sur le sujet inspire régulièrement d’autres médias. Avant notre article fin 2020 sur le label HVE, presque personne n’en avait parlé. C’est en 2023, après notre seconde enquête, que de nombreux médias « révèlent » le sujet : France Télévisions (l’oeil du 20h) en mars ou encore Hugo Clément (Sur le Front, France 5), en juillet qui explique avoir « découvert » les tromperies du label. Le même Hugo Clément qui lancera son média (Vakita) avec une « révélation » sur le site de production de phosphate à Gabes en Tunisie. « Nous avons découvert que pour produire cet engrais, l’usine rejette quotidiennement 14 000 tonnes de phosphogypse dans la mer Méditerranée », explique le média. Une information probablement « découverte » dans cette enquête en Tunisie menée par Basta!… en 2015 !
Notre travail pousse parfois les pouvoirs publics à réagir. Trois semaines après notre enquête sur les coopératives agricoles, l’Assemblée Nationale a lancé une mission d’information pour scruter notamment la « gouvernance parfois déséquilibrée » des coopératives. A été auditionné l’universitaire Xavier Hollandts qui s’exprimait dans un de nos articles. Étrangement, aucune mention de notre travail dans l’épais rapport rendu trois mois plus tard. L’inspiration était venue du ciel planant au-dessus du Palais Bourbon ?

Attention Danger Travail

Comment avons-nous suivi ces sujets ?
Enquêter sur les conditions de travail, c’est dans l’ADN de Basta! Et pour cause, le lancement du site en décembre 2008, a été quasi-concomitant avec la publication de l’essai Orange stressé, par Ivan du Roy, co-fondateur de Basta!, sur le management tragique à France Telecom. Alors quand le journaliste Franck Depretz nous a proposé de raconter ce qu’il se passait chez les cordistes, nous n’avons pas hésité. Résultat, nous avons publié plus d’une dizaine de papiers depuis 2017, largement relayés dans la presse. Notre cartographie sur les accidents graves et mortels sur les chantiers des Jeux Olympiques et du Grand Paris, a aussi beaucoup fait parler d’elle. Nous étions les premiers à montrer l’envers du décor, à rendre visible ces morts invisibles, quand la com’ gouvernementale vantait l’exemplarité de ces chantiers. Nous remercions la famille de Maxime Wagner, intérimaire mort sur le chantier de la ligne 14 en mars 2020, de nous avoir accordé leur confiance et de nous avoir permis de les accompagner dans leur combat pour obtenir justice.

Notre impact
Notre travail a permis à d’autres de se saisir du sujet (à l’image d’un Complément d’enquête) et de faire pression sur certaines entreprises, même si les condamnations restent rares. C’est en cela que le jugement de l’employeur de Maxime Wagner, Dodin Campenon-Bernard, filiale de Vinci, est historique : la justice a condamné l’entreprise à une amende de 250 000 €, ainsi que 4 mois de prison avec sursis pour les deux supérieurs hiérarchiques. Depuis, la question des accidents du travail gagne en visibilité : ce n’est plus qu’un simple fait divers, cela devient un problème systémique dont les politiques doivent se saisir. En témoigne le décompte de l’enseignant Mathieu Lépine qui recense les morts au travail depuis 2016 : en 2022, 738 personnes ont perdu la vie au travail dans le secteur privé, sans compter les morts non déclarés comme accident du travail.

Droites radicales

Comment avons-nous suivi ces sujets ?
La lutte contre l’extrême-droite est un axe originel de notre journal. Elle se décline en 5 formes principales :
 enquêter sur les réseaux d’influence de l’extrême-droite. C’est l’objectif des deux articles mis en avant ici. Dans le même registre, nous avons enquêté sur le patron de Valeurs Actuelles, un influent actionnaire de Carrefour proche de Bolsonaro ou encore les réseaux de financement des partis d’extrême-droite en Europe.
 dévoiler le véritable programme de l’extrême-droite politique, à travers l’analyse des mesures prises par les maires FN puis RN ou des positions anti-sociales soutenues au parlement européen.
 observer les stratégies de l’extrême-droite à l’étranger, notamment au Brésil (pays bien connu de deux membres de la rédaction lusophones), en Allemagne (où vit une de nos journalistes), aux Etats-Unis ou encore en Europe de l’est afin d’exposer ce que fait réellement l’extrême-droite quand elle arrive au pouvoir
 contrer la pénétration culturelle et médiatique des idées de la droite radicale, en exposant par exemple le rôle des médias ou les tentatives d’appropriation de la pensée écologique. Mais aussi en mettant en valeur des médias authentiquement démocratiques à travers le Portail des médias libres.
 donner de la visibilité aux mouvements anti-fascistes, à leurs mobilisations et initiatives.

Notre impact
Longtemps relativement isolé sur le sujet, nous avons eu le plaisir ces dernières années de voir de nombreux médias prendre la mesure du danger posé par l’extrême-droite. Streetpress, Mediapart et Libération ont chacun créé une newsletter dédiée à l’observation de l’extrême-droite. Politis ou Le Monde ont intensifié leur couverture. Des mouvements anti-fascistes comme La Horde, auparavant relativement snobés par des médias méfiants, sont désormais relayés et considérés comme des sources précieuses. Bref, le monde du journalisme réalise désormais qu’une part d’engagement est nécessaire à un travail véritablement efficace sur le sujet. Et nous ne pouvons qu’en être satisfait.

Service public en panne

Comment avons-nous suivi ces sujets ? La casse du service public, on vous la raconte depuis nos débuts. Que ce soit la privatisation, la quête de rentabilité par un management inhumain, ou encore la dématérialisation des démarches administratives et le mal être que ça crée chez les usagers et les agents. Les années passent, les gouvernements se succèdent et la situation ne fait qu’empirer. En 2022, 6713 lits d’hospitalisation complète ont été fermés. La suppression des lits d’hôpitaux a refait surface lors de la crise sanitaire du Covid. Nous avions été les premiers à cartographier ce délabrement et à mettre en lumière des alternatives comme les maisons de santé pour stopper l’hémorragie.

Notre impact
Au cours de la pandémie, notre carte des suppressions de lits d’hôpitaux a servi à plusieurs reprises pour alimenter des questions de députés au gouvernement. Un travail également mis en avant par plusieurs de nos confrères et consœurs. Fin 2023, la question des contrôles à la CAF a fait du bruit grâce à la mobilisation de plusieurs collectifs dont la Quadrature du net qui a forcé l’administration à divulguer son algorithme, prouvant ainsi les fortes discriminations sur lesquelles repose le système de contrôle.

Climat

Septembre 2019 / Plongée dans la sphère climato-sceptique
Une enquête produites par les « Journalistes d’investigation sur l’écologie et le climat » (Jiec), un regroupement éphémère des rédactions de Basta!, Mediapart, Politis, Reporterre et de la revue Projet.
 L’article du collectif : En France, le climatoscepticisme n’est pas mort
 L’article de Basta! : Réchauffement climatique : ces multinationales, patrons ou agences de com’ qui brillent par leur hypocrisie
Comment avons-nous suivi ces sujets ? Le climat peut être un sujet difficile : à la fois incontournable mais complexe, générateur d’angoisse et avec une fâcheuse tendance à renvoyer chacun à sa propre impuissance. C’est pourquoi à Basta! nous optons pour des articles clairs, qui redonnent du pourvoir d’agir. Nos objectifs :
 pointer les vrais responsabilités : lobbying des industriels, rôle des banques, inaction politique, double discours des gouvernements, grands projets à rebours de l’histoire
 démonter les faux discours : solutionnisme technologique, discours sur la vertu des « petits gestes », prétendue stratégie d’adaptation, politiques publiques inefficaces, négationnisme climatique...
 dessiner des scénarios viables de réduction des émissions, en terme de modèle énergétique, d’économie numérique, d’évolution du tourisme...

Notre impact
Elle n’est pas (encore) à chercher du côté des victoires politiques, c’est un fait tristement connu. En revanche, les articles sur le sujets font quasi systématiquement de bonnes audiences et occasionnent de nombreux messages de remerciement et d’encouragement. De quoi jeter aux orties le préjugé qui voudrait que « cela n’intéresse pas les gens ».

Répression

2014-2023 / Morts par la police : une base de donnée inédite
 Notre base de donnée publiée en 2018 (et régulièrement mise à jour) : Morts à la suite d’interventions policières 1977-2022
 Début du suivi en 2014 : Homicides, accidents, « malaises », légitime défense : 50 ans de morts par la police
 Nos dernières conclusions en 2023 : Le nombre de morts liées à une intervention policière a atteint un pic en 2021
Le nombre de personnes tuées par un tir des forces de l’ordre a doublé depuis 2020
Comment avons-nous suivi ces sujets ? Notre base de données sur les interventions mortelles des forces de l’ordre, unique en France, a vu le jour en 2018. Un recensement commencé par Basta! dès 2014 et qui s’appuie aussi sur le travail de l’historien Maurice Rafjus et des collectifs de familles des victimes. Les condamnations judiciaires qui ont suivi la répression brutale du mouvement des gilets jaunes était un aspect ignoré jusqu’à la publication de notre enquête, devenue une référence pour d’autres médias. Nos données ont révélé la démesure et le systématisme de cette répression judiciaire du mouvement. Nous avons souhaité aller plus loin en recueillant les témoignages de gilets jaunes incarcérés et de leurs familles. C’est ce travail qui a inspiré au journaliste Pierre Bonneau, l’idée d’écrire un recueil de onze récits de Gilets Jaunes, Je ne pensais pas prendre du ferme (éditions du bout de la ville, 2021).

Notre impact
L’objectif de ces bases de données est de remédier à un manque d’informations – officielles ou non – sur le sujet. En tant que journalistes, nous souhaitons ainsi alimenter le débat public sur la manière dont les forces de l’ordre usent du recours à la force et à l’ouverture du feu, une prérogative exceptionnelle concédée à l’État par les citoyens. À ce niveau là, l’objectif a été atteint. Ces dernières années, députés, journalistes, chercheurs, politiques, citoyens se sont saisis de nos chiffres pour alerter sur les violences policières, demander des comptes au gouvernement, à l’institution policière, mais aussi pour élaborer des projets de loi pour réformer la police. Que l’IGPN se soit sentie obligée de publier son propre recensement dès 2020, témoigne de l’impact de notre travail.

Scandale d’État

Comment avons-nous suivi ces sujets ? Les bases de données c’est un peu notre dada. La toute première s’attaquait aux « portes tournantes » entre l’Inspection générale des finances et le secteur bancaire privé. Alors qu’Emmanuel Macron prônait la moralisation de la vie publique en 2017, on décidait de creuser le sujet. Un travail qui a mis en lumière des conflits d’intérêts. Une situation problématique qui mine le fonctionnement démocratique. Mais ce n’est pas la seule. Quand Macron annonçait à l’été 2022, devoir « rentrer collectivement dans une logique de sobriété », on révélait les trajets, tout sauf sobres, de l’exécutif en jet privé. Quand il tentait de nous imposer la retraite par capitalisation avec un 49-3, on dévoilait le rôle de BlackRock dans la réforme. Au moment de la crise sanitaire, lorsque les places en réanimation manquaient dans les hôpitaux, nous révélions le rôle des cabinets de conseils dans la défaillance de l’État.

Notre impact
Cinq ans plus tard, à l’Inspection générale des finances, la situation n’a pas changé. Complément d’enquête s’est à son tour saisi du sujet, en s’appuyant fortement sur notre travail (mis à jour pour l’occasion). Sur les ventes d’armes, Tony Fortin, de l’Observatoire des armements, déclarait lors d’une émission radio : « Basta! a vraiment contribué à ce que le sujet soit plus largement débattu ». Plus tard, c’est le média Disclose qui repris cette piste d’investigation. Ce qui a valu, en septembre 2023, à une de ses journalistes une interpellation par la DGSI suivie d’une garde à vue de 39 heures.